Elles ont été arrêtées, humiliées, menacées, sanctionnées dans leur travail ou par la justice, mais rien n’a ébranlé la détermination des familles de retrouver les corps de leurs proches, auteurs d’un coup d’Etat raté il y a 30 ans contre Omar al-Béchir.
Et leur inflexible ténacité a été payante.
Il y a une semaine, la commission d’enquête établie après la chute en avril 2019 de l’autocrate soudanais a permis de mettre au jour à Omdourman près de Khartoum, un charnier avec les corps de 28 officiers qui avaient tenté, le 23 avril 1990, de renverser M. Béchir, arrivé au pouvoir par un coup d’Etat l’année précédente.
« Il s’agit d’un massacre, d’exécutions sommaires sans procès. Nous avons demandé à la commission de retrouver la fosse commune », assure à l’AFP Fathiya Kambal, une avocate de 61 ans, femme du lieutenant-colonel dans les blindés, Béchir Abou Dik, abattu à 37 ans.
« Bien sûr, nous sommes soulagés d’avoir retrouvés les corps, mais nous sommes bouleversés par la manière dont ils ont été tués… mitraillés. Les auteurs de ce crime doivent être jugés et les martyrs enterrés dignement avec une cérémonie militaire », ajoute cette mère de trois enfants.
Jusque-là, les familles n’ont pas reçu les corps, en attendant la fin de l’opération d’exhumation et le difficile processus d’identification.
– Le début du cauchemar –
Dans sa maison à Khartoum, Fathiya Kambal tient la photo d’un militaire au large sourire un peu timide sur fond rose et un bandeau noir marquant le deuil. Le cliché de son mari date d’un entraînement aux Etats-Unis.
Ses souvenirs sont gravés dans son esprit comme sur une pierre tombale.
« La dernière fois que je l’ai vu, c’était le 22 avril (1990). On était chez des amis pour un iftar (repas de rupture du jeûne du ramadan) puis il nous a conduits chez mon père en me disant qu’il serait occupé le lendemain et m’a donné de l’argent pour que j’achète des habits aux enfants pour l’Aïd al-Fitr », fête de la fin du ramadan, raconte-t-elle.
Et c’était le début du cauchemar.
A son réveil, elle entend des voisins dire qu’il y a eu des mouvements de troupes. Puis tombe la nouvelle de l’échec d’un putsch. Elle se rend avec l’épouse d’un autre militaire à la caserne et toutes deux voient des camarades de leurs époux dans un bus, qui détournent la tête… . Ils savaient que leurs maris allaient être mis à mort.
Le lendemain, le 24, la radio annonce l’exécution de 28 officiers auteurs d’un coup d’Etat raté et cite leurs noms. Celui de son époux en faisait partie.
« Notre mouvement est né spontanément et ne s’est jamais arrêté. Ce sont surtout les femmes -épouses, sœurs, mères- mais aussi les enfants et les pères qui n’ont cessé de demander quel tribunal les avait condamnés et où se trouvaient les corps ». ajoute Mme Kambal.
– Battus –
« Pour avoir posé sans relâche des questions, certains ont été arrêtés, maltraités, traduits en justice chassés de leur travail, barrés de la fonction publique, d’autres ont dû même s’exiler mais personne n’a jamais baissé les bras », assure-t-elle.
Lors du mouvement de contestation en 2019 qui a conduit à la chute de M. Béchir, les proches des militaires avaient dressé une tente à Khartoum avec l’inscription « Les familles des martyrs du 28 ramadan », date de l’exécution selon le calendrier musulman.
La sœur du colonel des parachutistes Esmat Mirghani, un des officiers exécutés, faisait partie de ces proches.
« Durant 30 ans, nous avons cherché leurs tombes. Ce qui s’est produit est un crime. Ils n’ont jamais été jugés. Ils ont été exécutés moins de 24 heures après le coup. Ils ont été jetés dans un charnier avec leur uniforme », assure Awatef Mirghani, avocate.
Pendant trois décennies et malgré le régime oppressif de M. Béchir, des membres de ces familles ont manifesté devant les sièges gouvernementaux et ont été plusieurs fois battus. Ils ont organisé des réunions et alerté les ONG internationales. Et à chaque anniversaire de l’exécution, ils se sont réunis à Khartoum ou au Caire.
Mais il a fallu l’arrivée des nouvelles autorités au Soudan pour lancer les recherches.
Une brochure éditée par les familles avec les photos des soldats exécutés, assure que les auteurs « ont fomenté ce coup pour ramener la démocratie au Soudan, libérer les prisonniers et traduire en justice ceux qui ont détruit le système constitutionnel ». Le putsch d’Omar el-Béchir avait renversé le gouvernement de Sadek al-Mahdi, élu démocratiquement.