Le Conseil des ministres du Burundi a demandé jeudi à la Cour constitutionnelle de définir la marche à suivre après le décès soudain du président Pierre Nkurunziza, qui soulève des incertitudes dans ce pays à l’histoire troublée.
M. Nkurunziza, au pouvoir depuis 15 ans, devait achever son mandat le 20 août et passer le témoin au général Evariste Ndayishimiye, son dauphin désigné par le parti au pouvoir, le CNDD-FDD, et vainqueur proclamé de la présidentielle du 20 mai, en dépit des accusations de fraudes massives lancées par son principal rival.
Mais sa mort a ouvert une période d’incertitude pour son pays, dont l’histoire est marquée par des crises politiques meurtrières et une longue guerre civile, et qui pourrait être soumis à des luttes d’influence déstabilisatrices.
Le gouvernement a organisé un Conseil des ministres afin de discuter de « la gestion de la situation consécutive au décès inopiné » de Pierre Nkurunziza, mort selon le gouvernement d’un arrêt cardiaque.
Présidé par le 1er vice-président, Gaston Sindimwo, ce Conseil « a saisi la Cour constitutionnelle pour qu’elle constate la vacance de poste présidentiel », a annoncé à l’AFP un conseiller à la présidence, qui a requis l’anonymat.
« La réunion a été plutôt rapide car ça a été le seul sujet abordé lors de ce Conseil des ministres », a précisé à l’AFP un responsable ministériel, également sous couvert de l’anonymat.
Acquise au pouvoir, la Cour doit interpréter la Constitution pour définir les modalités pratiques de la transition. Elle devrait rendre sa décision « dans les plus brefs délais », selon ces deux sources.
– ‘Respect strict de la Constitution’ –
Selon la Constitution de 2018, en cas de vacance de poste définitive de la présidence, l’intérim est censé être assuré par le président de l’Assemblée nationale, un poste actuellement occupé par Pascal Nyabenda.
Dans les faits, la décision sera prise par les quelques généraux issus de l’ancienne rébellion hutu lors de la guerre civile (300.000 morts entre 1993 et 2006), qui partageaient la réalité du pouvoir avec M. Nkurunziza.
Ces généraux penchaient initialement pour accélérer l’investiture du président élu sans passer par la case intérim, a expliqué à l’AFP un haut cadre du parti au pouvoir.
Ce serait « légitime et pas du tout choquant, et surtout ça peut éviter au général Ndayishimiye cette longue période d’incertitude et d’immobilisme synonyme de tous les dangers », a estimé un diplomate sous couvert d’anonymat.
Mais influencés par des juristes, les généraux seraient en passe de changer d’avis. « Après d’intenses discussions, ils pourraient finalement opter pour le respect strict de la Constitution, avec un intérim dirigé par le président de l’Assemblée », a assuré le même conseiller à la présidence, sans exclure non plus la possibilité d’un intérim raccourci.
M. Nyabenda aurait été le premier choix de M. Nkurunziza pour lui succéder. Mais le groupe de généraux a eu gain de cause en imposant l’homme de son choix, Evariste Ndayishimiye.
La mort de Pierre Nkurunziza, un chrétien évangélique « born again » qui considérait son pouvoir d’essence divine, a provoqué un immense choc au Burundi.
– La rumeur Covid –
Il laisse pourtant derrière lui un « héritage sombre et triste », selon Carina Tertsakian, de l’Initiative pour les droits humains au Burundi.
Sa candidature à un troisième mandat très controversé en avril 2015 a débouché sur une crise politique qui a fait plus de 1.200 morts et conduit 400.000 Burundais, dont de nombreux opposants, militants des droits de l’Homme et journalistes indépendants, à l’exil.
Sous le règne de celui qui avait été élevé au rang de « Visionnaire » et de « Guide suprême du patriotisme », deux termes symbolisant son rôle central dans le système mis en place par le CNDD-FDD, la population s’est également encore appauvrie.
Des sources diplomatiques ont indiqué à l’AFP que la disparition de M. Nkurunziza, dont le poids politique était sans équivalent, pourrait permettre au général Ndayishimiye, qui ne fait pas partie des durs du régime, d’avoir les coudées plus franches.
Alors que les 11 millions de Burundais ont commencé un deuil national d’une semaine, de nombreuses rumeurs sur les réseaux sociaux ont suggéré que la mort de M. Nkurunziza aurait provoquée par la maladie Covid-19.
Son épouse, Denise Bucumi, a regagné Bujumbura mardi soir depuis Nairobi, où elle était hospitalisée depuis fin mai après avoir été contaminée par le nouveau coronavirus.
Pierre Nkurunziza avait régulièrement expliqué que Dieu protégeait le Burundi et sa population du virus et avait décidé de maintenir les élections en dépit de l’épidémie.