Le parti d’inspiration islamiste Ennahdha, dont le candidat ne s’est pas qualifié au premier tour de la présidentielle en Tunisie, a annoncé officiellement son appui à l’universitaire Kais Saied, arrivé en tête.
Ce nouveau rebond dans la campagne d’une présidentielle pleine de surprises, intervient au lendemain du décès du président Zine El Abidine Ben Ali, chassé par la rue le 14 janvier 2011, et décédé jeudi en exil, à Jeddah en Arabie saoudite.
Le président déchu est mort à 83 ans après avoir régné sans partage sur le pays pendant 23 ans. Il pourrait être enterré vendredi ou samedi à la Mecque, a indiqué aux médias tunisiens un avocat se présentant comme proche de la famille, Me Mounir Ben Salah.
« On doit s’organiser puisqu’il s’agit d’un ancien chef d’Etat. Des membres de sa famille vivant en Tunisie et dans d’autres pays seront présents » en Arabie saoudite, a déclaré à la radio un de ses gendres, le rappeur K2Rhym, de son vrai nom Karim Gharbi, qui vit également dans le royaume.
Le décès de Ben Ali n’était pas à la Une de l’actualité ni des conversations, alors que la Tunisie, seul pays touché par les soulèvements de 2011 à continuer à se démocratiser, s’apprête à élire ses députés le 6 octobre, puis choisir son président d’ici mi-octobre.
Ennahdha, parti réprimé sous Ben Ali, dont de nombreux membres ont été emprisonnés, n’a pas réagi officiellement.
En revanche, le parti, qui ne s’était pas positionné officiellement lors de la présidentielle en 2014, a exprimé clairement vendredi son soutien en faveur de Kais Saied.
« Ennahdha a choisi de soutenir le choix du peuple », a déclaré à l’AFP son porte-parole, Imed Khemiri.
Kais Saied, un néophyte en politique et universitaire perçu comme conservateur sur les questions sociétales, a créé la surprise en arrivant en tête du premier tour de la présidentielle dimanche avec 18,4% des voix.
Il sera opposé au second tour au publicitaire Nabil Karoui, soupçonné de blanchiment et incarcéré. Ce dernier avait engrangé 15,6% des voix. Le 18 septembre, la justice a rejeté de nouveau une demande de libération de ce candidat.
Le candidat d’Ennahdha, Abdelfattah Mourou, le premier à briguer la magistrature suprême sous l’étiquette de ce parti, avait récolté 12,9%, soit 400.000 voix environ, poursuivant l’érosion constatée depuis 2011.
– Anti-système –
« C’est l’orientation générale du parti. Toutes ses institutions sont pour le soutien de Kais Saied », a ajouté M. Khemiri précisant que son parti soutient « la défense de la souveraineté de l’Etat, le renforcement de la démocratie et la lutte contre la corruption ».
La choura doit se réunir en début de semaine prochaine pour formaliser ce soutien, a indiqué le parti.
Pour le politologue Slaheddine Jourchi, la formation islamiste modérée « ne pouvait pas soutenir Nabil Karoui car elle est déjà accusée par sa base d’avoir traité avec le système au détriment de ses principes ».
Ennahdha a gouverné en coalition avec le parti Nidaa Tounes, dont est issu Nabil Karoui, qui avait gagné les élections en 2014 sur un programme anti-islamiste. Ce choix a apaisé des clivages déstabilisant le paysage politique de la jeune démocratie, au prix d’importantes concessions.
La décision de soutenir M. Saied, qui a fait campagne en critiquant le système politique en place, est une tentative d’Ennahdha pour reconquérir ses bases, estime M. Jourchi.
Il table sur un transfert d’une bonne partie des voix d’Ennahdha.
« Beaucoup de jeunes pro Ennahdha avaient voté pour Kais Saied au premier tour », rapelle Michaël Ayari, analyste chez International crisis group. Mais si Ennahdha représente un important réservoir de voix, « être soutenu par un parti considéré comme inclus dans le système ne sera pas uniquement un atout pour lui », souligne-t-il, d’autant que cela risque de créer des tensions au sein de son électorat, hétéroclite, qui comprend aussi des anti-islamistes.
M. Saied a déjà obtenu le soutien d’autres candidats du premier tour, dont Moncef Marzouki, ancien président de la République.
Parmi eux, le politicien conservateur Lotfi Mraihi, qui avait récolté 6,6% des voix, ainsi que l’avocat Seifeddine Makhlouf (4,4%), connu pour avoir assuré la défense de jihadistes, ou encore le militant des droits de l’Homme Mohamed Abbou (3,63%).
Ils l’ont qualifié d’homme « honnête » ou « intègre », après une campagne low cost avec l’appui de nombreux jeunes bénévoles.
Du côté de M. Karoui, peu de soutiens se sont encore officiellement manifestés.
Plusieurs recours ont été déposés concernant le scrutin de dimanche, repoussant le second tour de la présidentielle soit au 6 octobre, date des législatives, soit au 13 octobre.