Le président égyptien déchu Mohamed Morsi a été enterré mardi au Caire en toute discrétion et sous haute surveillance, au lendemain de son décès en pleine audience au tribunal, après avoir passé près de six ans derrière les barreaux.
L’ONU a réclamé une enquête « minutieuse et indépendante » sur la mort à l’âge de 67 ans de l’ancien chef de l’Etat islamiste, emprisonné depuis sa destitution par Abdel Fattah al-Sissi, commandant de l’armée à l’époque et actuellement président de la République.
« L’enquête devra (…) prendre en compte aussi tous les aspects du traitement infligé par les autorités à M. Morsi pour vérifier si les conditions de sa détention ont eu un impact sur sa mort », a déclaré Rupert Colville, porte-parole du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme.
Dans la presse égyptienne mardi, l’événement était relaté de façon minimale, certains journaux ne mentionnant même pas qu’il a été chef de l’Etat entre juin 2012 et juillet 2013.
Issu de la confrérie des Frères musulmans, interdite en Egypte, Mohamed Morsi avait pourtant été le premier président civil et démocratiquement élu dans ce pays, après le Printemps arabe de 2011 qui avait poussé au départ l’ancien chef de l’Etat Hosni Moubarak après 30 ans de pouvoir.
Mais dans un pays où l’opposition a été sévèrement réprimée, peu de gens commentaient ouvertement le décès de l’ex-chef d’Etat.
En revanche, en Turquie où le gouvernement soutient les Frères musulmans, des milliers de personnes ont participé à une prière collective à la mémoire de Mohamed Morsi à Istanbul.
La veille, le président turc Recep Tayyip Erdogan avait qualifié de « martyr » Mohamed Morsi, l’émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, exprimant lui « sa profonde tristesse » et l’Iran regrettant « une mort malheureuse ».
Au Caire, l’enterrement s’est déroulé dans la nuit, dans le quartier de Medinat Nasr (est) bouclé par des policiers.
Aucun journaliste n’a pu accéder au cimetière, situé non loin des lieux où la violente répression par les forces de l’ordre d’un sit-in des partisans de Mohamed Morsi avait fait environ 800 morts en août 2013.
Seule une dizaine de membres de sa famille étaient présents, selon des journalistes de l’AFP.
« La prière funèbre a été faite à l’hôpital de la prison » où il était détenu, a indiqué à l’AFP l’un de ses avocats, Abdelmoneim Abdel Maksoud.
– « Assassinat » –
Après sa destitution par l’armée à la faveur d’une vague de manifestations, Mohamed Morsi a été poursuivi dans plusieurs affaires, accusé de « terrorisme », « d’espionnage » ou de « meurtre » de manifestants, des charges qu’il a toujours rejetées.
C’est lors d’une audience lundi au Caire consacrée à des accusations d’espionnage au profit de l’Iran, du Qatar et de groupes comme le Hamas à Gaza, qu’il s’est effondré.
« Le tribunal lui a accordé le droit de parler pendant cinq minutes. Il est tombé sur le sol dans la cage des accusés et a été immédiatement transporté à l’hôpital », a indiqué le parquet général. « Le procureur a été informé de la mort de Morsi durant sa présence dans une séance de son procès », a poursuivi l’institution.
Il est mort « à cause d’un arrêt cardiaque », selon la télévision d’Etat.
Le Parti de la liberté et de la justice de Mohamed Morsi, bras politique des Frères musulmans, a parlé d’un « assassinat », dénonçant de mauvaises conditions de détention dont « le but était de le tuer à petit feu ». En Jordanie, les Frères musulmans ont accusé les « autorités du coup » (d’Etat contre l’ex-président) de la mort du « martyr » Morsi.
En mars 2018, une commission britannique indépendante avait condamné le maintien à l’isolement 23 heures par jour de cet homme souffrant d’antécédents diabétiques et d’insuffisances rénale.
– Enquête indépendante –
Le député conservateur britannique qui avait dirigé cette commission, Crispin Blunt, a réclamé mardi une « enquête internationale indépendante » sur ce décès, rejoignant les demandes d’Amnesty International et Human Rights Watch (HRW).
La mort de M. Morsi « en détention est représentative de l’incapacité de l’Egypte à traiter les prisonniers conformément au droit égyptien et international », a estimé M. Blunt.
L’Egypte n’a pas réagi aux déclarations de M. Blunt et de l’ONU. Mais les autorités ont tancé les tweets d’une responsable de HRW ayant dénoncé une « négligence criminelle » des autorités. Dans un communiqué, ces dernières ont fustigé de « fausses allégations » et une « exploitation politique au nom des droits humains ».
L’Egypte nie systématiquement les accusations de violations des droits humains.
Mohamed Morsi avait été condamné à un total de 45 ans de prison dans deux affaires, incitation à la violence contre des manifestants fin 2012 et espionnage au profit du Qatar. Il était rejugé après l’annulation de deux verdicts prononcés contre lui – une condamnation à mort et une réclusion à perpétuité.
Après la destitution du président Morsi, Abdel Fattah al-Sissi, qui était son ministre de la Défense, a mené une répression sans merci contre l’opposition, en particulier les sympathisants des Frères musulmans.
Policiers et soldats avaient tué plus de 1.400 manifestants pro-Morsi en quelques mois. Des centaines avaient été condamnés à mort et des milliers emprisonnés.
Après l’annonce de la mort de Mohamed Morsi, la télévision d’Etat a diffusé en boucle des images de violences et d’attentats, accusant les Frères musulmans de « terrorisme » et de « mensonge ».
Les années qui ont suivi le coup de force de l’armée ont vu une succession d’attaques visant les forces de l’ordre et la montée du groupe Etat islamique (EI) dans le Nord-Sinaï.