Le président libanais, Michel Aoun, a rejeté vendredi toute enquête internationale sur la gigantesque explosion au port de Beyrouth, affirmant que la négligence ou un missile serait à l’origine du cataclysme, tandis que les secouristes s’activent toujours pour retrouver des survivants.
« Il est possible que cela ait été causé par la négligence ou par une action extérieure, avec un missile ou une bombe », a déclaré M. Aoun vendredi à la presse, rejetant les appels à l’ouverture d’une enquête internationale car elle « diluerait la vérité ».
C’est la première fois qu’un dirigeant libanais évoque une piste extérieure, les autorités affirmant jusqu’à présent que l’explosion a été provoquée par un incendie dans un énorme dépôt de nitrate d’ammonium, une substance chimique dangereuse.
Cette déflagration d’une puissance inouïe, la plus dévastatrice jamais survenue au Liban, alimente la colère d’une population mobilisée contre les dirigeants du pays depuis l’automne 2019, notamment lors de manifestations ayant rassemblé des centaines de milliers de personnes.
Une indignation d’autant plus grande que le gouvernement est incapable de justifier la présence de 2.700 tonnes de nitrate d’ammonium dans un entrepôt du port de Beyrouth depuis six ans et « sans mesures de précaution », de l’aveu même du Premier ministre.
Près de l’épicentre de la déflagration, dans le port devenu un champ de ruines, des secouristes français, italiens, allemands et autres coordonnent leurs efforts à proximité de silos géants de céréales détruits, d’après un correspondant de l’AFP.
Ils ont retrouvé quatre corps vendredi matin.
– « Pulvérisé » –
Selon le dernier bilan, l’explosion a fait au moins 154 morts, plus de 5.000 blessés, des dizaines de disparus et des centaines de milliers de sans-abri.
Une source judiciaire a rapporté vendredi cinq nouvelles arrestations parmi les fonctionnaires des services des douanes et du port, notamment des ingénieurs, portant à 21 le nombre de personnes en détention.
Le président français Emmanuel Macron, en déplacement jeudi à Beyrouth, a réclamé une enquête internationale sur l’explosion et a appelé les dirigeants libanais à opérer un « profond changement ».
M. Aoun a jugé vendredi nécessaire de revoir un régime politique « paralysé ».
Le président français a annoncé l’organisation « dans les tout prochains jours » d’une conférence d’aide humanitaire d’urgence pour le Liban, en plein naufrage économique depuis plusieurs mois.
La Commission européenne a fait savoir vendredi qu’elle y participerait. Le président du Conseil européen Charles Michel a prévu de se rendre samedi à Beyrouth, pour témoigner de la « solidarité » des Européens « choqués et attristés ».
Des familles de disparus se sont précipitées au port pour tenter d’avoir des nouvelles.
Les équipes de la défense civile libanaise observent un chien renifleur faisant le tour d’un cratère creusé sous une grue échouée. Un calme angoissant règne, seulement rompu par le bruit des machines déblayant l’immense étendue de décombres, des monticules à n’en plus finir de fer tordu et désarticulé.
– « Besoins énormes » –
Dans une capitale aux airs post-apocalyptiques et face à l’incurie du gouvernement, un vaste élan de solidarité a poussé des centaines de Libanais à poursuivre les opérations de déblaiement ou à accueillir des sans-abri.
L’Organisation mondiale de la santé s’est inquiétée de la saturation des hôpitaux, des pénuries de médicaments et d’équipements médicaux, réclamant quinze millions de dollars.
« Les besoins sont énormes et immédiats », a aussi déploré l’UNICEF, précisant que jusqu’à 100.000 enfants ont perdu leur toit.
Plusieurs pays ont dépêché du matériel médical et sanitaire ainsi que des hôpitaux de campagne.
L’Union européenne a débloqué 33 millions d’euros en urgence, l’armée américaine a déjà remis au Liban plusieurs cargaisons d’eau, de nourriture et de médicaments.
L’agence d’aide internationale des Etats-Unis (USAid) a annoncé vendredi l’envoi immédiat de quinze millions de dollars de nourriture et de médicaments, équivalent à trois mois de nourriture pour 50.000 personnes et à trois mois de médicaments pour 60.000 personnes.
Alors que la colère de la population libanaise à l’égard de leurs dirigeants enfle, les forces de l’ordre ont eu recours jeudi soir à des gaz lacrymogènes dans le centre-ville pour disperser des dizaines de manifestants décriant l’incompétence et la corruption des autorités.
Des appels circulent sur les réseaux sociaux pour une manifestation anti-gouvernementale samedi.
Les autorités libanaises affirment que l’entrepôt a explosé après un incendie. Autorités portuaires, douanières et certains services de sécurité savaient que des matières chimiques dangereuses y étaient entreposées mais ils se rejettent désormais mutuellement la responsabilité.
Le procureur militaire a évoqué jeudi dans un communiqué la présence, outre le nitrate d’ammonium, de « matériaux hautement inflammables et des mèches lentes ».
Il interroge des dizaines de personnes, a indiqué vendredi une source judiciaire à l’AFP, assurant que « des personnes haut placées » pourraient être arrêtées et relevant un partage de la responsabilité entre « responsables administratifs, sécuritaires au port et des politiciens au pouvoir, qui étaient au courant ».