Sur le marché de Colobane, place tentaculaire au coeur de Dakar, les marchands de fripe négocient depuis l’aube au milieu de centaines de petites échoppes de « feugue-diaye », terme qui désigne en wolof les vêtements de seconde main importés par milliers de tonnes chaque année au Sénégal.
Les Etats-Unis sont en tête du classement mondial des exportateurs de fripes, avec plus de 756.000 tonnes en 2018. La France, en neuvième position, a exporté l’an passé 69.000 tonnes de vêtements usagés vers l’Afrique, son premier marché.
« Si tu veux des vêtements de marque pas chers, c’est ici qu’il faut venir », lance Mamadou Sarr, un grossiste de 23 ans qui dès cinq heures du matin défait sur son étal en bois des balles de vêtements recyclés. « Tout ça vient d’Angleterre », sourit-il en désignant une pile de jeans délavés.
Pour obtenir ces pantalons, vendus par petite balle de 45 kg, l’ancien vendeur ambulant a déboursé entre 50.000 et 70.000 francs CFA (entre 76 et 106 euros).
Les détaillants qui s’affairent parmi les quelque 300 tables des grossistes, invisibles de la rue, cherchent la perle rare, comme les maillots de football, très prisés par la jeunesse africaine.
« Le vendeur qui m’achète un T-shirt à 300 francs CFA (0,45 euro), il peut le revendre à 500, 700, 800 dans sa boutique », à l’autre bout du marché, déclare le jeune Sénégalais.
Après avoir payé les intermédiaires, les frais de douane et de transport, Mamadou et son grand frère peuvent gagner jusqu’à 450.000 francs CFA (environ 675 euros) « pour les meilleurs mois », soit plus de huit fois le salaire minimum sénégalais.
– Vocation sociale –
Au Sénégal, les grossistes s’approvisionnent notamment auprès du « Relais », qui leur fournit quelque 500 tonnes par an de vêtements triés en France.
Acteur majeur du secteur en France, cette entreprise à vocation sociale est également implantée depuis 2006 à Diamniadio, à une trentaine de kilomètres de la capitale, où ses 51 employés se chargent de trier de 200 à 250 tonnes de vêtement supplémentaires.
« Ce sont des balles de vêtements mélangés qui arrivent ici dans notre entrepôt », explique à l’AFP la numéro deux du groupe au Sénégal, Virginie Vyvermans.
Les pièces sont triées selon leurs catégories (robes, chemises, etc.), puis en fonction de leur qualité et de leur niveau d’usure. « Il y a des marchandises qui n’ont pas forcément de valeur, mais nous voulions créer de l’emploi avant tout », souligne Mme Vyvermans.
Les bénéfices sont investis dans des projets locaux de développement et dans les salaires des employés, majoritairement des femmes, toutes en CDI.
« Cela m’a permis d’inscrire mes enfants à l’école privée et d’acheter un terrain pour ma maison », explique l’une d’elles, Marie-Hélène Marome.
A l’ouverture du centre de tri du Relais, Aliou Diallo, un ancien épicier de 34 ans originaire de la ville voisine de Thiès, s’est reconverti.
« Pour moi, c’était une chance », explique le chef d’entreprise, qui emploie 30 personnes dans ses sept boutiques de Thiès et dans des entrepôts disséminés au Sénégal.
« On peut acheter des robes, des jeans, des T-shirts à bas prix, de grandes marques. Ils sont plus résistants que ceux de fabrication chinoise », commente Binta, 29 ans, une habituée, en fouillant parmi les tas de vêtements qui débordent de cartons entreposés à même le sol.
– « Travail risqué » –
Depuis les années 1980, « les tarifs douaniers ont été considérablement abaissés et les restrictions quantitatives supprimées, ce qui a ouvert la porte à des importations massives de friperie », souligne l’économiste Ahmadou Aly Mbaye, professeur à l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) de Dakar.
Dans le même temps, les entreprises du secteur textile et de l’habillement « ont disparues du Sénégal et des autres pays de la sous-région », dit-il, en soulignant que s’il fallait relancer un secteur « dynamique » de la confection, « les importations massives de friperie seraient un obstacle total ».
Surtout présents dans le secteur informel, les métiers du vêtement recyclé n’offrent pas que des avantages, relève encore l’économiste, en citant un « niveau de précarité élevé », des revenus « plus réduits que dans le secteur formel » et de plus grands risques d’accidents du travail.