vendredi, novembre 22, 2024
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Dans l’Afrique du Sud démocratique, la communauté « coloured » nostalgique de l’apartheid

« Tout est fait pour les Noirs. La nation arc-en-ciel, ce sont des bobards ! », s’emporte Dalene Raiters, une mère de famille sud-africaine « coloured ». « On n’est pas assez noires », lâche sa soeur Elizabeth, elle aussi quadra et sans emploi.

Vingt-cinq ans après la fin du régime raciste en Afrique du Sud, la communauté « coloured » – l’une des quatre classifications raciales retenues du temps de l’apartheid (Noirs, Blancs, Indiens et Coloured) – se sent toujours « exclue » et « victime de racisme », cette fois-ci de la part de la majorité noire.

« On ne fait pas partie de ce pays. On était marginalisés du temps de l’apartheid et aujourd’hui on l’est encore », s’indigne Dalene, intarissable sur les discriminations dont elle s’estime victime.

« On vit serrés comme des sardines. Quatre générations sous le même toit », enchaîne Elizabeth, assise dans le salon de la maisonnette familiale du township majoritairement « coloured » d’Eldorado Park, dans la grande banlieue de Johannesburg.

En tout, neuf personnes y vivent. Bientôt dix avec l’arrivée imminente d’un bébé.

Elizabeth a fait une demande de logement social il y a dix-sept ans. Sans résultat. Car, dit-elle, elle n’a pas la bonne couleur de peau.

« On se retrouve constamment au milieu », se désole cette mère de famille toute menue, les cheveux retenus par un foulard noir.

Les « Coloured », composés de plusieurs groupes ethniques, notamment les San (Bushmen) et Nama, populations autochtones d’Afrique australe, sont « la première nation de ce pays », explique l’un de leurs représentants à Eldorado Park, Keith Duarte.

En 1994, quand le Congrès national africain (ANC), fer de lance de la lutte contre l’apartheid, est arrivé au pouvoir, « on a pensé qu’il serait inclusif », se rappelle-t-il. « C’était une grossière erreur… »

– ‘On est des bâtards’ –

Dans le township d’Eldorado Park, où des feux de circulation affichent en même temps l’orange et le rouge, les petits maisons en brique font illusion. Mais derrière leurs façades, dans des cours en terre battue, la population s’entasse dans des cabanons de bric et de broc.

Pour entrer chez Chesney Van Wyk il ne faut pas pousser la porte mais la soulever des deux mains. Elle n’a ni poignée, ni gond.

Un pêcher nain, devant l’entrée, sert de porte-manteau au jeune homme de 23 ans et à sa compagne qui partagent un matelas posé sur des paillassons. En cas de fortes pluies, la cabane aux murs de cartons plastifiés est inondée.

Chesney survit grâce à de rares petits boulots et la générosité de voisins. Mais aujourd’hui, il est très occupé. Avec des dizaines d’habitants munis de pioches et de pelles, il nettoie un terrain vague du quartier avant de démarquer, avec des branchages et des cailloux, l’emplacement de leurs futures maisons.

« On revendique cette terre. On sait que c’est illégal. Mais à chaque fois qu’on demande un logement social, on nous demande de remplir des documents et on ne revient jamais à nous », explique Chesney. « On est des moutons oubliés. »

Pendant l’apartheid, poursuit-il, « on n’était pas assez blancs, et maintenant on n’est pas assez noirs ».

« Ils disent qu’on est des bâtards », enchaîne Violet Bouwers, qui en a assez, à 51 ans, de vivre chez sa mère.

Sans aucune perspective, de nombreux jeunes se noient ici dans la drogue. Le « crystal meth », une drogue de synthèse très addictive vendue 50 rands (3 euros) le paquet, y fait des ravages.

– ‘Je préférais l’apartheid’ –

En avril, trois mères ont porté plainte contre leur enfant drogué pour tentative de meurtre, explique Dereleen James de la Fondation Yellow Ribbon, engagée dans la lutte anti-drogue.

Récemment, une mère a tué sa fille droguée. « Elle n’en pouvait plus », témoigne M. James, avant de se lancer dans une course-poursuite en voiture dans les rues d’Eldorado Park à la recherche d’un toxicomane que sa mère veut faire interner.

Ici, jeunes et vieux mettent une partie de leur infortune sur le compte de leur couleur.

Mais les chiffres ne leur donnent pas entièrement raison. Le revenu annuel des « Coloured » est presque deux fois plus élevé que celui des Noirs. Le taux de chômage est de 30,5% chez la majorité noire (81% de la population sud-africaine), contre 23% chez les « Coloured » (8,8% de la population).

Cette communauté a été « marginalisée pendant la période coloniale et sous l’apartheid, et l’Afrique du Sud post-apartheid n’a pas répondu de façon substantielle » à ce problème, avance Jamil Khan, doctorant au Centre des études sur la diversité à l’université de Witwatersrand à Johannesburg.

Pendant l’apartheid, ils ont aussi « reçu des privilèges minimes (…) qui ont créé une méfiance » vis-à-vis des Noirs, ajoute-t-il, estimant que leur sentiment d’abandon pouvait être « lié à la peur de perdre ces privilèges ».

Cette peur est tellement ancrée à Eldorado Park que certains regrettent le temps de l’apartheid, quand ils n’avaient pourtant ni droit de vote ni liberté de mouvement.

« Aujourd’hui, les Noirs ont toutes les opportunités », dénonce Janice Jacobs, 49 ans et femme de pasteur.

« Pendant l’apartheid, ça allait mieux pour nous. On nous donnait les fournitures scolaires. Il y avait des infirmiers dans les écoles. L’ordre et la discipline régnaient. Si quelqu’un mettait le feu, il finissait en prison », énumère-t-elle.

« Le gouvernement de l’apartheid s’occupait de l’éducation, de la santé, des logements, acquiesce Elizabeth. Ce gouvernement, non. Je préférais l’apartheid. »

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