C’est le premier procès en France pour une fraude fiscale d’une telle ampleur: Le géant suisse UBS, accusé d’avoir illégalement démarché de riches clients français, sera face à ses juges lundi après-midi à Paris.
Jusqu’au bout, la banque a tenté de s’opposer aux poursuites. A la veille du procès, prévu trois demi-journées par semaine jusqu’au 15 novembre devant le tribunal correctionnel, une incertitude demeure quant à la tenue de l’audience.
Les sommes en jeu sont colossales: plus de dix milliards d’euros d’avoirs non déclarés et une amende encourue pouvant se monter « jusqu’à la moitié de la valeur ou des fonds sur lesquels ont porté les opérations de blanchiment », selon le code pénal.
La maison mère UBS AG doit comparaître pour « démarchage bancaire illégal » et « blanchiment aggravé de fraude fiscale », sa filiale française pour « complicité » des mêmes délits.
Doivent également comparaître six hauts responsables de la banque en France et en Suisse, dont Patrick de Fayet, l’ex-numéro 2 d’UBS France: c’est son cas qui pourrait conduire à un report du procès.
Pendant l’enquête, Patrick de Fayet a reconnu sa culpabilité pour complicité de démarchage illicite et devait être jugé séparément via une procédure de plaider coupable. Celle-ci n’a finalement pas été homologuée, mais M. de Fayet ne figure pas dans l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, ce qui pose problème selon la défense.
– « Dissimuler, placer ou convertir » –
La première audience promet donc d’âpres débats procéduraux, qui pourraient se solder par un report sine die du procès.
Tout est démesuré dans ce dossier: six ans d’enquête, 30 tonnes de procédure, une caution record d’1,1 milliard pour UBS AG, 10 millions pour UBS France.
Le procès qui s’annonce est autant celui de la banque suisse que celui d’une époque, ce temps béni pour les coffres forts suisses où évasion fiscale ne rimait pas avec fraude, avant la vaste offensive lancée dans la foulée de la crise financière mondiale de 2008.
Alors qu’était menée l’enquête contre UBS, s’imposait le principe d’échanges automatiques de données et la France durcissait son arsenal après le scandale du compte caché de l’ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac.
La banque a fait valoir qu’elle avait agi en conformité avec le droit suisse et ne pouvait savoir si ses clients étaient ou non en règle avec le fisc de leur pays.
« UBS aura enfin la possibilité de répondre aux allégations souvent infondées », a déclaré la banque qui « entend défendre fermement sa position ».
Pour les juges d’instruction, entre 2004 et 2012, UBS a mis en place « pour ses clients résidents fiscaux français une série de services, procédés ou dispositifs destinés à dissimuler, placer ou convertir sciemment des fonds non déclarés » via notamment « des sociétés off-shores, des trusts ou des fondations ».
En clair, le groupe suisse est accusé d’avoir illégalement envoyé ses commerciaux en France pour piocher dans la riche clientèle d’UBS France, repérée lors de réceptions, parties de chasse ou rencontres sportives, et de la convaincre d’ouvrir des comptes non déclarés en Suisse.
Pour masquer les mouvements de capitaux illicites entre les deux pays, la banque est aussi accusée d’avoir mis en place une double comptabilité, les « carnets du lait », utilisés pour comptabiliser des reconnaissances d’affaires dissimulées selon les juges, un simple outil d’évaluation des performances des banquiers selon la défense.
C’est ce système qui a été dénoncé par d’anciens salariés, comme Nicolas Forissier, ex-responsable de l’audit interne d’UBS France et l’un des principaux lanceurs d’alerte dans cette affaire.
Aux Etats-Unis, accusée d’avoir permis à 20.000 riches clients américains de se soustraire au fisc, UBS avait échappé à un procès en s’acquittant en 2009 d’une amende colossale de 780 millions de dollars.
Plus récemment, en janvier 2018, elle a versé 15 millions de dollars aux autorités américaines pour éviter des poursuites pénales pour manipulations concertées des marchés des métaux précieux.
UBS reste dans le viseur de la justice française dans d’autres affaires, nomment l’enquête sur le scandale des « Panama Papers » et une affaire de fraude fiscale en Belgique. Sa filiale française sera quant à elle bientôt jugée pour le harcèlement de deux anciens employés.