Public majoritairement masculin, costume sans cravate, tablette ou téléphone greffé à une main, l’air sérieux et toujours pressé. Les rencontres « tech » se succèdent à Dakar, avec invariablement le même code esthétique… et les mêmes problèmes de financement.
Pour la dizaine de jeunes créateurs d’entreprise réunis ce jour-là au siège d’un grand groupe de télécommunication, les enjeux sont énormes car les fonds sont encore trop rares, même s’ils augmentent.
« L’innovation en Afrique, c’est souvent +comment avoir le plus gros impact avec des ressources limitées+ », explique lors de l’étape dakaroise d’un concours international Fanny Dauchez, ambassadrice du fonds d’investissement suisse Seedstars.
Les capitaux drainés par 124 startups africaines sont passés de 367 millions de dollars (312 millions d’euros) en 2016 à 560 millions de dollars (476 millions d’euros) en 2017, soit un bond de 53%, relève une étude de l’investisseur Partech Ventures, qui a lancé en janvier un fonds dédié aux « champions du numérique » en Afrique subsaharienne.
Depuis 2012, ces investissements ont même été multipliés par 14, mais on est encore très loin des 20 milliards d’euros de capital-risque levés en 2017 par les startups européennes.
En outre, trois pays anglophones, l’Afrique du Sud, le Kenya et le Nigeria, continuent à se tailler la part du lion (76%), tandis que cinq pays francophones, dont le Sénégal, ont bénéficié de 10% des fonds levés sur le continent, selon Partech, qui a ouvert un bureau à Dakar.S’il connaît une « floraison » de startups, le Sénégal « reste en retard par rapport à ses concurrents africains anglophones », aux marchés plus importants et plus favorables à l’investissement, confirme Régina Mbodj, directrice du CTIC, un incubateur lancé à Dakar en 2011.
– Quelques minutes pour convaincre –
Lors des réunions avec des investisseurs, les entrepreneurs ouest-africains vendent fiévreusement leur startup, l’un après l’autre, en trois, cinq ou dix minutes chacun, avec un texte et une gestuelle travaillés.
Sédar Senghor utilise les quelques minutes qui lui restent pour relire son Power-Point. « Ma startup, Cartalink, est spécialisée dans les plateformes monétiques », des logiciels qui permettent des transactions numériques, utilisées par exemple pour les bornes de commandes dans les restaurants, explique-t-il avec assurance.
Pour l’instant cet « entrepreneur dans l’âme », comme il aime à se définir, a déjà séduit 16 établissements de bowling français mais son équipe de 12 personnes ambitionne de convaincre des entreprises sénégalaises (restaurants, lieux de loisir…) d’adopter sa technologie.
Candidate malheureuse au concours dakarois de Seedstars, dont la grande finale internationale le 5 avril 2019 à Lausanne (Suisse) sera dotée de 500.000 dollars, Olivia Ndiaye se souvient d’avoir bénéficié des conseils des « bonnes personnes » au sein d’un incubateur lorsqu’elle a cofondé il y a deux ans « Lives », un site de promotion du tourisme en Afrique.
En revanche, « côté investisseurs », surtout dans les premières étapes, « il y a un peu plus de difficultés », reconnaît la jeune femme, à la recherche de fonds pour s’étendre à l’étranger.
« Ce qui manque, ce sont des investissements pour des petits projets, qui ont besoin peut-être de 10.000, 50.000 dollars. Toute la partie +business angel+ n’existe pas, ou en tout cas elle a besoin de se développer beaucoup », résume Fanny Dauchez, veste de baseball aux couleurs de son entreprise.
– Mythe de la Silicon Valley –
« On a fait un +storytelling+ (raconté une belle histoire, NDLR) avec la Silicon Valley, en parlant de +geeks+ dans un garage qui sont partis de rien », explique Samir Abdelkrim, entrepreneur et fondateur de « Startup BRICS », blog français d’actualité de startups des pays émergents.
Mais « on oublie de dire qu’en parallèle, les puissances publiques ont aidé la recherche et que les Etats-unis sont depuis toujours un pôle d’attraction des talents », rappelle-t-il, en soulignant qu’à Lagos, au Nigeria, « lorsque le premier incubateur de startups a vu le jour en 2010, aucun investisseur n’était présent ».
Au Sénégal, l’Etat a posé quelques jalons en divisant par 10 le capital social nécessaire à la création d’une entreprise, fixé à 100.000 francs CFA (150 euros), ou en prévoyant l’ouverture d’un parc de technologies numériques d’ici 2021 dans la ville nouvelle de Diamnadio, où université, ministères et centres logistiques se côtoieront à deux pas du nouvel aéroport international.
En attendant, une quinzaine de startups se sont déjà regroupées à Dakar au sein de la communauté franco-sénégalaise « Teranga Tech », dont les premiers projets seront soutenus par l’Institut français et l’Institut Goethe (allemand).
On y retrouve les créateurs d’une plateforme destinée aux victimes d’agressions sexuelles ou encore « Save Dakar », un site participatif luttant contre les décharges sauvages.