Lorsque son mari Wonder s’est levé il y a une semaine pour faire sa prière du matin, Emma Zhakata n’imaginait pas que ce serait la dernière. Il est mort quelques heures plus tard, terrassé par la nouvelle épidémie de choléra qui frappe le Zimbabwe.
« En milieu de matinée, il s’est plaint de son estomac et il se sentait un peu faible », se souvient sa veuve en ravalant quelques larmes. « On l’a conduit en urgence à la clinique, où on l’a mis sous une tente avec les autres malades du choléra. »
« C’est la dernière fois que je l’ai vu », continue Emma Zhakata, 69 ans, dans sa petite maison du quartier pauvre de Glen View, en banlieue de la capitale Harare.
« Quand on a appelé pour avoir de ses nouvelles, on nous a informés qu’il était mort du choléra », souffle-t-elle, « c’est effrayant de savoir que n’importe lequel d’entre nous peut marcher normalement un instant et mourir celui d’après… »
Comme Wonder Zhakata, au moins 32 personnes ont succombé en quinze jours à cette maladie de la pauvreté, témoin de l’état catastrophique du Zimbabwe d’aujourd’hui.
Le pays y est habitué. En 2008, l’épidémie avait fait au moins 4.000 morts. Elle avait alors éclaté au beau milieu d’une crise économique qui avait forcé de nombreux hôpitaux publics à fermer faute de médicaments et de personnels, partis à l’étranger.
Le nouvel épisode est cette fois parti de Glen View, pour rapidement s’étendre dans Harare et autour, accéléré par le piètre état des systèmes de distribution et d’assainissement des eaux ou de la pénurie de médicaments.
– « Pas en sécurité » –
Comme à chaque contagion, les autorités ont interdit les réunions publiques et la police a nettoyé les rues de ses vendeurs et de leurs étals de nourriture à l’hygiène douteuse.
Mais le choléra a continué à se propager. Plus de 7.000 cas ont été recensés à ce jour. Alors pour nombre d’habitants de Harare, cette épidémie est celle de trop.
« Comment peut-on encore avoir le choléra à notre époque ? », s’insurge Webster Nganunu, 29 ans, en faisant la queue devant une citerne d’eau potable stationnée à Glen View.
« J’en veux au gouvernement et à la municipalité, qui sont incapables de nous offrir les services de base. Toutes ces morts auraient pu être évitées. Certains méritent la prison », lance-t-il.
Autour de lui, la colère gronde contre la réaction « léthargique » du gouvernement et ses priorités, dans un pays ravagé depuis une bonne décennie par une crise économique catastrophique.
« Comment expliquer que nos dirigeants trouvent de l’argent pour se payer des voyages inutiles en avion ou des voitures de luxe mais qu’ils soient obligés de tendre la sébile quand il s’agit de combattre le choléra ? », se demande, excédé, un autre habitant du quartier, Reginald Simango.
« Les autorités ne font rien », renchérit Evans Ndoro, 48 ans, devant l’hôpital où il vient de faire admettre son fils qu’il soupçonne d’avoir été contaminé par la bactérie.
– Promesses –
« Dans la plupart des quartiers affectés, il y a des tonnes d’ordures qui n’ont pas été ramassées depuis des mois », déplore-t-il, mais les autorités « s’en moquent éperdument, elles n’agissent qu’en cas d’épidémie ».
Fraîchement élu, le président Emmerson Mnangagwa a succédé en novembre à Robert Mugabe en promettant de tourner la page de la corruption et de relancer l’économie.
Charlotte sur la tête et costume protégé d’une ample blouse jaune, il s’est rendu cette semaine au chevet de malades. Il a aussi promis devant le parlement de tout faire pour éradiquer cette « maladie du Moyen-Age ».
Mais ses moyens semblent très limités. Son ministre des Finances Mthuli Ncube a dû lancer un appel aux dons pour financer 35 des 64 millions de dollars nécessaires pour enrayer l’épidémie.
Le maire de la capitale Herbert Gomba a lui rappelé que des travaux de rénovation des canalisations étaient en cours. Mais il n’a pas promis de miracle. « Il nous faut trouver de nouvelles sources d’eau potable et un milliard de dollars pour régler de façon adéquate le problème. »
Rien donc qui puisse convaincre Emma Zhakata que le choléra ne fera plus d’autres victimes après son mari.
« Je ne vois venir aucune amélioration », soupire la veuve. « L’eau de notre robinet n’est toujours pas potable et on est obligé d’acheter des bouteilles pour échapper à la maladie. Mais combien de temps en aura-t-on encore les moyens ? »