De hauts murs protègent un entrepôt chinois d’arachide à Dinguiraye (centre du Sénégal) où ce produit devient « l’or » des paysans qui la vendent plus cher avec l’arrivée des Chinois mais les huiliers locaux, boudés par les cultivateurs, parlent de « concurrence déloyale ».
En contrebas de la route bitumée menant dans ce village du bassin arachidier sénégalais, dans un paysage de savane parsemé d’herbes sèches et d’arbres rabougris, surgit une fabrique abritant des machines à décortiquer électriques.
« Nous avons préféré vendre nos arachides aux Chinois entre 250 et 260 FCFA (autour de 0,3 euro) le kilo. Le prix a même atteint parfois 300 FCFA (0,4 euro) dans les marchés hebdomadaires. C’est nettement mieux que les 190 FCFA » (0,2 euro), le prix fixé par l’Etat, affirme Oumar Thiam, un paysan venu vendre ses arachides.
« C’est la première fois que le prix de l’arachide atteint ce niveau et c’est grâce aux Chinois. Ces dernières années, non seulement il y avait une mévente de notre production mais les huiliers (locaux) l’achetaient à crédit et il y a toujours des impayés », indique Ablaye Dieng, venu d’un village proche.
A Sanguel, autre village voisin de Dinguiraye, des femmes trient les graines d’arachide, en présence de superviseurs dont des Chinois. Mais il est « interdit de filmer, prendre des photos et discuter avec les employées », déclare fermement un contrôleur sénégalais, qui veille à l’application de la décision.
« J’achète aux paysans des graines d’arachide que je décortique avant de les exporter en Chine, en Russie, en Philippines et en Malaisie », explique le Chinois Yang Dong, chef de l’entreprise de Sanguel, rencontré à Dakar. Il est un des rares Chinois acceptant de parler de son activité.
L’arachide, culture de rente introduite par le colon français et devenue depuis lors premier secteur pourvoyeur d’emplois avec au moins 60% des Sénégalais, a connu ces dernières années un déclin lié à une baisse de production due notamment à un déficit pluviométrique et une chute des cours.
En raison de son importance pour les huileries locales, publiques et privées, son exportation a été pendant longtemps interdite avant la libéralisation en 2010.
Le casse-tête chinois des huileries
« Les gens ont découvert le marché international. Il y a maintenant des Chinois, des Marocains et des Indiens sur le marché sénégalais » de l’arachide, affirme Mamadou Diallo, le directeur national de l’Agriculture du Sénégal.
« Les paysans dictent maintenant leur loi parce qu’il y a beaucoup d’acheteurs étrangers. L’arachide devient l’or du paysan après avoir été l’or des huiliers » qui l’achetaient à un prix moins rémunérateur, indique Habib Thiam, un opérateur économique sénégalais.
L’arrivée d’étrangers se fait au détriment des huiliers privés qui ont remplacé l’Etat dans la commercialisation après la privatisation de la filière.
« Cette ruée sur le Sénégal défavorise les industriels (les huiliers) qui ne trouvent pas de graines » d’arachide, fait remarquer M. Diallo.
« C’est une année catastrophique pour nos usines qui ne fonctionneront que pendant un mois sur douze à cause de cette concurrence étrangère malsaine et déloyale », se désole Bouba Aw, un responsable d’un syndicat de travailleurs de l’huilerie.
Il appelle à l’institution de « règles pour approvisionner d’abord les huileries locales qui emploient quelque 5.000 personnes dont 2.000 permanents. Dans tous les pays au monde, on protège les nationaux ».
En outre, cette libéralisation va selon lui causer « des problèmes de semences d’arachide » en raison de « l’exportation des graines ».
Mais pour El Hadji Ndiaye, responsable d’un syndicat local d’agriculteurs, « le paysan sénégalais cultive l’arachide depuis le 19e siècle. Il s’est toujours débrouillé pour avoir ses semences et met toujours en réserve des graines ».
AFP