Surnommé le sniper de Targuist, du nom d’un petit village au nord du Maroc, le jeune Mounir Agueznay a filmé clandestinement pendant six ans des gendarmes et des fonctionnaires en flagrant délit de corruption, avant de dévoiler récemment son identité à la presse.
En 2007, il parvient à filmer avec sa petite caméra des gendarmes en flagrant délit de corruption près de Targuist, le village qu’il habite.
La vidéo, d’une dizaine de minutes, montre des automobilistes, des conducteurs d’autocars et de motos, donner de l’argent sans même s’arrêter, discrètement de la main à la main, à des gendarmes qui les laissaient passer sans contrôle.
Ces images, mises en ligne sur un site d’information local, avaient fait aussitôt le tour du monde grâce aux chaînes satellitaires arabes et occidentales qui les avaient diffusées en boucle.
« Avec des amis du quartier, nous avons été convoqués par les autorités locales et par la gendarmerie. Ils nous interrogés longuement et j’ai dû nier tout en bloc », a déclaré à l’AFP Mounir Agueznay, qui a dévoilé son identité après six ans de « clandestinité » et des dizaines d’autres vidéos montrant des gendarmes et des fonctionnaires en flagrant délit de corruption.
Il a pour la première fois accepté de donner des interviews à visage découvert à la presse marocaine la semaine passée, car « le personnage du sniper est devenu très connu, mais sans visage ». « Il est temps qu’il ait un visage, mais je continuerai à dénoncer la corruption à visage découvert », précise celui que l’on surnomme aussi « Zorro ».
En octobre 2012, Transparency International a publié une importante enquête dans laquelle elle considère que le Maroc se situe à un niveau « élevé » de l’échelle de corruption dans le monde, derrière la Turquie, l’Afrique du Sud ou encore le Sénégal.
Selon cette ONG, 55% des dirigeants d’entreprises marocains sondés jugent la corruption « courante » et 53% estiment que la politique du gouvernement est « inefficace ».
Le parti islamiste Justice et développement (PJD), qui dirige le gouvernement depuis plus d’un an au Maroc, a fait de la lutte contre la corruption l’un de ses chevaux de bataille. Récemment, le pays a adopté une loi dépénalisant les dénonciateurs de cas de corruption.
Mais les autorités de Targuist, soupçonnant fortement M. Agueznay sans parvenir à l’épingler, s’en sont pris à ses proches.
« Pour se venger de moi, ils ont arrêté mon frère Radouane en octobre dernier et l’ont accusé de +trafic de drogue+. Il a été condamné à un an de prison ferme », souligne le « sniper de Targuist ».
Il se dit « déçu » par le gouvernement que dirige l’islamiste Abdelilah Benkirane.
Le jeune homme s’est présenté sous l’étiquette du PJD à Targuist aux élections de novembre 2011, qui se sont déroulées dans le tumulte du Printemps arabe et ont donné lieu à une large victoire des islamistes — mais il n’a pas été élu.
« J’y croyais vraiment. Je pensais qu’après les slogans électoraux du PJD contre la corruption et pour vraie une transparence, les choses allaient changer… ». « Malheureusement, jusqu’à présent, ce gouvernement n’a pris aucune mesure concrète allant dans ce sens », estime-t-il.
Dans un entretien accordé en octobre 2012 à France 24, Abdelilah Benkirane a souligné que la lutte contre la corruption demandait « du temps ».
« La corruption existe au Maroc, elle existe dans beaucoup de pays, (…) mais à des degrés différents », a-t-il relevé, évoquant « un sujet primordial parce qu’il y a un sentiment d’injustice dans notre population de voir des gens qui s’enrichissent rapidement sans avoir en apparence travaillé en conséquence ».
AFP