Comment Bozizé a-t-il sauvé son trône ?
Les rebelles furent sans doute les premiers surpris par la facilité déconcertante avec laquelle ils ont pris Bambari, le 23 décembre. Le dernier baroud des Forces Armées Centre Africaine (FACA), une semaine plus tard, pour reprendre cette ville située à 300 km de Bangui, indique l’importance de ce verrou stratégique. Dès lors, la Séléka a compris qu’il pouvait revoir ses ambitions à la hausse : marcher sur Bangui et « dégager » Bozizé !
Quel drôle de façon de demander de l’aide militaire à son cousin François Hollande ! Menacé par la Séléka, le président Bozizé envoie ses partisans à l’assaut des symboles de la représentation française dans la capitale centrafricaine : l’ambassade et le siège de la compagnie Air-France. Même si Paris a refusé de répondre aux sollicitations de Bangui, la décision de François Hollande de mettre en place un dispositif d’évacuation de ses ressortissants avait eu un effet plus que dissuasif sur les rebelles, s’ils avaient eu l’intention de descendre plus au Sud pour renverser le régime. Le détachement de 150 hommes dépêchés de Libreville pour renforcer les quelques 500 militaires français stationnés en permanence en République Centrafricaine n’auront pas croisé les bras si les groupes rebelles se seraient aventurés à Bangui. Rappelons qu’au Tchad en 2007, N’Djamena et Idriss Deby seraient tombés, par un rezzou de rebelles venu de l’Est, sans le déploiement de force française qui, pour protéger et évacuer ses ressortissants, avait sécurisé l’aéroport.
Malgré cette menace imminente le général François Bozizé s’obstinait à vouloir contre-attaquer en cherchant des armes et de l’aide partout. Il a sollicité tous ses voisins – l’Ouganda, le Rwanda et même le Burundi – pour lui fournir des armes. L’appel de naufragé Bozizé reçût un écho favorable. En effet, l’Afrique du Sud a répondu présent en envoyant sur le champ 400 hommes, et ce en vertu de l’accord de défense signé entre les deux pays en 2007. Il serait encore 250 militaires sud-africains à être présents à Bangui. Pretoria tient ainsi à affirmer son panafricanisme qui a, semble-t-il, été foulé par l’intervention internationale en Libye sans son assentiment. Désormais le tandem du président Jacob Zuma et son ex-épouse Nkosazana Dlamini-Zuma – aujourd’hui présidente de la Commission de l’UA – s’ouvre sous des meilleurs auspices. Jamais la République d’Afrique du Sud n’est sortie aussi loin de ses bases et qui plus est dans le pré-carré français. Certains argueront que cette projection militaire est une réminiscence de la fraternité de l’ANC pour ses frères opprimés. Et si la volonté cachée reste beaucoup plus prosaïque ? Le potentiel minier (uranium, pétrole, or) de l’Oubangui-Chari ne peut laisser indifférent les industriels de la première puissance économique continentale. Le moment venu, lorsque le régime du président François Bozizé sera sauvé, un renvoi d’ascenseur, pour les amis qui n’ont pas failli, serait d’une logique toute naturelle.
La médiation du triumvirat
La concertation à N’Djamena des chefs d’Etat de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique Centrale (CEEA) avant Noël a sonné l’hallali du régime omnipotent du président François Bozizé.
Le tchadien Idriss Déby, le congolais Denis Sassou Nguesso et le gabonais Ali Bongo étaient à la manœuvre. Ils ont donné l’ordre de renforcer l’effectif de la Force Multinationale d’Afrique Centrale (FOMAC) à Damara (75 km de Bangui) en lançant un ultimatum aux belligérants que « Damara constitue une ligne rouge à ne pas franchir ». L’opposition démocratique, atomisée par le pouvoir, n’était pas encore prêt à fournir une alternative. Tandis que ces chefs d’Etat ne voyaient pas au sein même de la rébellion un homme providentiel capable de redresser le pays. Faute de mieux, on se contente de rabibocher. En d’autres termes, ils ont contraint leur homologue centrafricain à venir s’asseoir à la table de négociation pour composer avec ses adversaires politiques et ses ennemis. Car l’Homme est rétif et a souvent prouvé par le passé qu’il est capable de volte-face.
Il a ainsi tenté une dernière fois de solliciter son « frère » Denis Sassou Nguesso qui l’aurait autrefois parrainé au sein de la loge équatoriale de la franc-maçonnerie. Selon notre confrère de Jeune-Afrique, sollicité pour le prêt d’un avion cargo en vue de récupérer du matériel militaire à Kampala, ce dernier aurait dit : « on ne peut à la fois négocier et contre-attaquer ; tu dois t’asseoir et discuter ».
L’accord de Libreville de janvier 2013
La rébellion était arrivée à Libreville en ordre dispersé, minée par des questions de leadership, sans feuille de route balisée. Entre la position radicale de certains comme le porte-parole du groupe Eric Massi et ceux qui prônent la négociation tels que Michel Djotodi, la Séléka s’en est sortie miraculeusement des pourparlers. Ils avaient la légitimité du terrain alors que les opposants politiques étaient considérés comme des gens qui voulaient participer au festin.
Le président François Bozizé, l’opposition démocratique et les représentants du groupe rebelle de la Séléka ont finalement signé un accord de Paix. Il se résume en deux points essentiels : d’abord sur le terrain, un cessez-le-feu entre les deux belligérants c’est-à-dire les rebelles et les Forces Armées Centrafricaines (FACA). Ensuite sur le plan politique : la formation d’un gouvernement d’union nationale qui conduira les affaires du pays pour au moins douze mois, à l’issue desquelles seront organisées de nouvelles élections législatives.
Le président François Bozizé a sauvé son trône mais a été complètement dépouillé. Ses prétentions d’obtenir 12 maroquins sur une trentaine de postes s’étaient lamentablement échouées. Il voulait garder dans son giron les ministères régaliens tels que la Défense, les Affaires Etrangères, les Finances et l’Administration territoriale. La Séléka a exigé et obtenu le portefeuille de la Défense. Et surtout, le premier ministre lui a été imposé par l’opposition politique.
L’avènement d’une cohabitation
La mise en musique de cet accord a déjà montré les difficultés futures de cette transition. La partition a été réglée une dernière fois à Brazzaville. Les ténors de l’opposition, dont entre autres, Martin Ziguélé – ex chef du gouvernement d’Ange Félix Patassé – Jean-Jacques Demafouth ont en effet soumis aux chefs rebelles de la Séléka le nom du futur premier ministre : maître Nicolas Tiangaye. Tout ce monde-là est allé rencontrer le président congolais, lequel a su trouver les mots justes pour faire fléchir son homologue centrafricain. Les émissaires de la rébellion, depuis leur retour à Bangui, sont sous la protection de la FOMAC à la base de M’poko, jouxtant l’aéroport de Bangui.
La théâtralisation par le président François Bozizé de la nomination de Me Nicolas Tiangaye comme premier ministre donne aussi le ton de cette cohabitation. Il a convoqué tout un aréopage ainsi que le corps diplomatique, au palais de la Renaissance pour la signature du décret qui officialise la prise de fonction du chef de gouvernement. Cette cérémonie a permis toutefois à Michel Djotodi le chef de délégation de la Séléka de demander officiellement la libération les prisonniers politiques de son groupe de rébellion. Le maître des lieux a répliqué que cela dépendra de la fin des hostilités effectives sur le terrain.
L’opposition démocratique et la Séléka ont placé la bête noire du chef de l’Etat à la tête du gouvernement. Me Nicolas Tiangaye n’est autre que celui-ci qui a osé contester – haut et fort – la victoire dès le premier tour du président sortant en février 2011. Ce dernier fût en effet réélu à plus de 64,37%. En réaction, le nouveau chef du gouvernement a crée le Front pour l’Annulation et la Reprise des Elections (FARE 2011). François Bozizé a usé de tous les subterfuges pour l’empêcher de se faire élire député dans la 4ème circonscription de la capitale.
L’engagement de longue date de Me Nicolas Tiangaye pour les Droits de l’Homme et le fait qu’il a d’ores et déjà renoncé à se présenter aux prochaines élections présidentielles de 2016 donnent du cachet à ce choix. Il se considère comme homme de devoir capable de sacrifier son ambition personnelle pour le bien de ses concitoyens. Mais les tâches qu’il attend sont titanesques et ce pour une durée limitée dans le temps : douze mois reconductible. Pacifier le pays tel est la priorité absolue de son gouvernement. Le Dialogue Politique Inclusif (DPI) et le processus de Démobilisation, Désarmement et Réinsertion des anciens combattants (DDR) sont des chantiers en friche qui étaient à l’origine de cette insurrection.
Pourra-t-il au moins gouverner par ordonnance ? Le NKN (littéralement le travail rien que le travail) et sa coalition détiennent toujours la majorité absolue à l’assemblée nationale. Cette mouvance présidentielle est gratifiée de 65 députés godillots sur 105 depuis 2011. La chambre basse n’a pas été dissoute et la loi de Finances pour l’exercice 2013 a déjà été votée avant le mouvement insurrectionnel de décembre dernier. François Bozizé, en vieux briscard, fera tout pour entraver l’action gouvernementale en signant les décrets de manière parcimonieuse.
Les tensions existent toujours sur le front
Petit à petit les langues se délient au sein de la population des territoires conquis par la Séléka. On a su avant les pourparlers de Libreville que les milices ont perpétrés des actes de vandalisme : razzia sur les stocks de sucre à Bambari, ventes de diamant à Bria, pillages de bâtiments administratifs et maisons de particuliers. Mais il existe toujours des éléments incontrôlés de la rébellion qui sévissent hors de la ligne de démarcation. Ils ont réinvesti la ville de Kago-Bandoro dans le Nord comme ils ont terrorisé la population à Kabo. Ces exactions viseraient plutôt la communauté chrétienne. Les commerçants autochtones auraient baissé les stores laissant place nette aux tchadiens, en très bon terme avec les rebelles ! Tandis que du côté de la préfecture de Basse Koto, les rebelles ont fait main basse sur les bâtiments administratifs de Kémbé et Djimbi.
Mais le président Bozizé a également fait importer des armes lourdes en provenance d’Afrique du Sud. La décision récente du président tchadien Idriss Deby de proroger d’un an le mandat de la FOMAC n’est pas sans fondement. La paix entre les deux belligérants semble encore fragile.
Que dire de la flambée des produits de première nécessité ? Et de la situation qui prévaut dans les zones tenues par les rebelles que l’administration a totalement abandonnées depuis des années ? De par son intervention et sa médiation, la CEEAC a pu éviter le spectacle désolant d’une Bangui à feu et à sang comme lors des épisodes sanglant des coups d’Etat et autres mutineries. Mais cette paix armée sur le front ainsi que cette cohabitation politique mal ficelée risquent de faire basculer encore une fois la République Centrafricaine dans le chaos.
Alex ZAKA
Paru dans Diasporas-News Magazine n°38 de Février 2013