Un mystère a été levé jeudi sur la censure à Guantanamo, quand le juge militaire a ouvertement reconnu que le gouvernement américain avait brouillé des échanges qu’il jugeait sensibles et lui a catégoriquement interdit de le faire à l’avenir.
Le juge James Pohl a infligé un sévère camouflet au gouvernement dans la procédure contre les accusés des attentats du 11-Septembre qui encourent la peine de mort pour le meurtre de près de 3.000 personnes.
Dans la salle du tribunal ultra-sécurisé et high-tech expressément conçu pour ce procès historique, le juge a levé le mystère de « la lumière rouge » qui signale, comme un gyrophare, quand les débats sont censurés.
« Le public n’a pas un droit illimité d’accès aux informations classifiées. Cependant, la seule personne autorisée à fermer la salle du tribunal est le juge », a-t-il tranché.
A Guantanamo, les échanges sont diffusés avec un différé de 40 secondes dans la salle de presse et dans la galerie où se trouvent, derrière une épaisse paroi vitrée, les journalistes, les organisations des droits de l’homme et les familles des victimes.
Ce différé permet à un officier de sécurité du tribunal (CSO, court security officer), assis à côté du juge, de censurer les échanges susceptibles d’être classifiés. Il dispose pour cela d’un double interrupteur, que l’AFP a pu voir, sur lequel on peut lire « stop » et « go ». Au dessus de lui, la « lumière rouge » est visible des spectateurs assis derrière la paroi vitrée.
Or le colonel Pohl a révélé jeudi que « l’autorité de classification » du gouvernement (OCA, original classification authority) disposait également d’un interrupteur, à l’extérieur de la salle du tribunal.
« Le juge et seulement le juge décide »
Au dernier jour de cette audience préliminaire à Guantanamo, le juge Pohl a ordonné que « le gouvernement déconnecte le circuit externe (des débats) ou sa capacité de suspendre la diffusion » des échanges.
Lundi, une portion des débats a été censurée lorsqu’a été mentionné le sujet sensible des prisons secrètes de la CIA où les cinq accusés ont été détenus et subi des interrogatoires musclés. Le juge s’était montré étonné et furieux que l’interrupteur ait été actionné sans qu’il soit au courant.
La procureure, en charge des questions de classification au ministère de la Justice, Joanna Baltes avait expliqué qu’OCA avait la possibilité de contrôler le circuit de diffusion. Il apparaît ainsi qu’OCA a coupé le fil dans la mesure où c’est la la CIA qui gérait les prisons secrètes où les accusés ont été soumis à un programme d’interrogatoires renforcés, dont certains sont assimilés à de la torture.
« Le juge et seulement le juge décide » dans ce tribunal, a encore lancé le juge Pohl.
Peu avant, la défense avait déposé une requête d’urgence pour suspendre la procédure tant que la question de la protection des communications confidentielles entre les clients et leurs avocats n’aura pas été tranchée.
David Nevin, l’avocat de Khaled Cheikh Mohammed, le cerveau autoproclamé des attentats, affirme que toutes ses conversations avec son client, y compris lors de ses visites ou bien en aparté dans la salle du tribunal, sont enregistrées.
Sur les tables de la défense et de l’accusation, une pancarte « rappelle qu’il faut éteindre les microphones pendant des conversations en apparté ». Mais James Connell, l’avocat du Pakistanais Ali Abd al-Aziz Ali, avait déclaré à la presse que même ces conversations étaient enregistrées.
Juste avant que les débats soient ajournés jusqu’au 11 février, James Pohl a aussi ordonné que le juge Bruce MacDonald, l’autorité suprême des tribunaux militaires, témoigne en février, signant un autre revers pour le gouvernement qui s’y opposait.
Les cinq accusés avaient à nouveau boycotté les audiences jeudi, comme ils y sont autorisés par le juge. Leur procès ne doit pas commencer avant un an.
AFP