Un tribunal néerlandais a rejeté mercredi la plainte de fermiers nigérians accusant le géant pétrolier Shell d’avoir pollué leurs villages dans le delta du Niger, décevant leurs espoirs ainsi que ceux d’une ONG d’ établir un précédent en matière de responsabilité environnementale.
Le tribunal de La Haye a pourtant partiellement condamné la filiale Shell Nigeria à verser des indemnités, dont le montant n’a pas été précisé, et les différentes parties interprétaient dès lors le jugement comme leur étant favorable à la sortie de l’audience.
Le tribunal « rejette toutes les demandes contre la société-mère (…) vu qu’au regard de la loi nigériane, la société-mère n’est en principe pas obligée d’empêcher ses filiales de faire du tort à des tiers », a déclaré le juge Henk Wien lors d’une audience publique.
« Shell Nigeria a été condamnée à payer des indemnités dans une des affaires », a ajouté la même source, précisant qu’il s’agissait de fuites dans un oléoduc près du village de Ikot Ada Udo en 2006 et 2007 : « toutes les requêtes dans les quatre autres affaires sont rejetées ».
Le tribunal a estimé que les fuites étaient dues à des sabotages liés au vol de pétrole, mais que Shell Nigeria aurait dû prendre des mesures pour l’empêcher. Il a également établi que les fuites avaient été nettoyées par Shell.
Les quatre pêcheurs et fermiers nigérians accusent Shell d’être responsable de fuites d’oléoducs au Nigeria. Ils assurent que le groupe n’a pas nettoyé la pollution qu’il a provoquée et qui a détruit leurs terres et leurs étangs. Ils exigeaient que Shell soit jugé responsable des fuites, qu’il nettoie les dégâts dans leurs trois villages, s’engage à surveiller et mettre à jour son matériel défectueux, et leur paye des indemnités.
La procédure au civil avait débuté en 2008.
« Mes sentiments sont partagés »
« Mes sentiments sont partagés », a déclaré à l’AFP Mene Eric Barizaa, le seul des quatre Nigérians présent mercredi à La Haye : « le tribunal a reconnu qu’il y avait eu des interférences et que Shell n’a pas pris bien soin de ses installations ». « Mais le tribunal n’a pas été juste (envers les habitants du village de Goi, ndlr), cet endroit est toujours très contaminé ».
L’ONG Milieudefensie, branche néerlandaise des Amis de la Terre, également plaignante dans cette affaire, espérait un précédent mondial en matière de responsabilité environnementale. Un jugement en leur faveur aurait pu faire jurisprudence, assure l’ONG.
« Le tribunal a dit qu’en principe, Shell est responsable d’empêcher des sabotages », a assuré Geert Ritsema, porte-parole de Milieudefensie, à l’issue de l’audience : « c’est la première fois qu’un tribunal néerlandais condamne une société néerlandaise pour ses opérations à l’étranger ».
Mais, regrette-t-il, « nous sommes sidérés par le fait que le tribunal ait dit que la fuite avait été causée par du sabotage ». « Le juge a dit que cela (la pollution, ndlr) avait été nettoyé, et là aussi, nous sommes sidérés ». Milieudefensie fera appel, assure-t-il.
Ancien président des Amis de la Terre, Nnimmo Bassey, joint par l’AFP à Abuja, estimait malgré tout que l’affaire établit un précédent : « je pense que beaucoup d’autres affaires suivront ».
« Je pense que le fait que nous ayons obtenu gain de cause dans au moins une des affaires est une étape importante parce que maintenant, Shell et d’autres multinationales sont averties qu’elles ne peuvent pas polluer l’environnement n’importe où dans le monde et retourner chez eux en profitant de leurs bénéfices », a-t-il soutenu.
Shell, dont le siège se trouve à La Haye, s’est de son côté félicité d’avoir été blanchi en tant que société-mère.
« Nous sommes ravis que le jugement du tribunal ait établi que Shell et Shell Nigeria sont dans leur droit dans le sens où la société-mère n’est pas responsable et dans le sens où les dommages et les fuites sont le résultat de sabotage et de vol », a déclaré à l’AFP Allard Castelein, vice-président du département environnement de Shell.
M. Castelein a soutenu que les indemnités seraient payées une fois qu’un jugement en appel serait rendu.
Huitième exportateur de pétrole au monde et premier producteur d’Afrique subsaharienne avec plus de 2 millions de barils par jour, le Nigeria est le théâtre depuis 50 ans d’une exploitation pétrolière extrêmement polluante.
Selon les Amis de la Terre, la pollution pétrolière au Nigeria est deux fois plus importante que les 5 millions de barils qui avaient été déversés dans le Golfe du Mexique en 2010 suite à la fuite causée par l’explosion de la plate-forme Deepwater Horizon du britannique BP. Shell conteste ce chiffre et assure que la pollution au Nigeria est bien moindre.
AFP