La décision d’envoyer 2000 soldats tchadiens au Mali, constituant le plus gros contingent de la force africaine, affiche la volonté d’Idriss Déby de se placer en garant de la stabilité de la région sahélienne, et d’éviter la progression de djihadistes vers son pays.
Visiblement décidé à prendre du poids politique en Afrique, le président tchadien s’engage quelques semaine à peine après avoir déployé des contingents en Centrafrique, pour s’interposer face à la progression des rebelles du Séléka.
Bien entraînée, équipée et rompue au combat dans le désert, l’armée tchadienne ne fera pas officiellement partie de la Mission internationale de soutien au Mali (Misma), mais « agira sur le terrain » en coordination avec la Misma et l’armée française, selon une source à l’état-major tchadien.
Démonstration de force
« Ce sont des troupes extrêmement aguerries au combat dans le désert, contrairement aux autres armées de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest » (Cédéao), relève Philippe Hugon, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) en charge de l’Afrique.
« Ils supportent bien la chaleur extrême, ils savent que l’adversaire est très mobile, car c’est une guerre de pick-up, où les djihadistes se déplacent tout le temps », ajoute le chercheur.
Pour Roland Marchal, chargé de recherche au CNRS (Centre national de la recherche scientifique), « les Tchadiens ont aussi compris que plus vous mettez de troupes dans des opérations internationales, plus vous êtes inattaquables sur les questions de politique intérieure. Même si les critères de bonne gouvernance ne sont pas vraiment remplis, la France et les Etats-Unis auront une plus grande retenue à critiquer le régime Déby ».
Bien qu’une partie de l’état-major français pour le Mali soit installée sur la base militaire française de N’Djamena, d’où décollent notamment les avions de chasse français, « ce n’est pas la France qui a poussé Déby à envoyer des hommes, ce sont plutôt les Etats-Unis. Ils veulent que ce problème (au Mali) soit réglé et après avoir formé plus de 1000 hommes dans des troupes d’élites au Tchad ces dernières années, c’est une manière de rentabiliser cet investissement ».
Stopper la menace islamiste
Mais pour la classe politique tchadienne, il s’agit surtout d’empêcher la progression de la menace djihadiste alors que plusieurs pays limitrophes sont en proie à des violences liées à des groupes islamistes. C’est notamment le cas du Nigeria où les violences de la secte Boko Haram et leur répression par les forces de l’ordre ont fait environ 3.000 morts depuis 2009.
« Ce danger (islamiste) nous menace aussi. Et c’est pour cela que nous apportons sans ambages notre soutien à l’envoi de troupes tchadiennes au Mali. Aller au Mali aujourd’hui, c’est se défendre pour enrayer le mal de loin », affirme sans détour le député et principal opposant Saleh Kebzabo.
« Nous devons considérer la situation du Mali comme étant la nôtre propre. Parce qu’aucun des pays du Sahel ne peut aujourd’hui prétendre y échapper et agir seul pour l’enrayer. Aller au Mali, c’est le combat des Tchadiens », souligne t-il.
Même son de cloche du côté de l’ancien Premier ministre Kassiré Koumakwé: « Si demain ces criminels s’emparent de Bamako, ils propageront leur idéologie négative dans le Sahel. Et le Sahel sera ingouvernable », estime-t-il.
L’engagement tchadien au Mali « est une manière d’anticiper la lutte contre les djihadistes sur leur propre territoire » souligne pour sa part Philippe Hugon.