Décriés pour la pratique du mariage des fillettes, les Yéménites ont aussi l’habitude de sceller des unions arrangées par deux familles pour le meilleur et surtout pour le pire des couples ainsi formés.
Coutume ancestrale, ce mariage est conclu entre une famille qui donne la main de sa fille à un jeune homme d’une autre famille, en « échange » du mariage de la soeur de ce dernier avec son propre fils.
Ce mariage dit « d’échange » est notamment pratiqué pour des raisons économiques afin d’éviter aux familles de payer la dot que tout jeune homme doit apporter à sa fiancée. Il vise également dans les zones rurales à ne pas dilapider les héritages.
Mais cette pratique peut avoir des conséquences terribles: si l’un des deux couples décide de se séparer, le deuxième doit le faire aussi, même s’il vit en parfaite harmonie. Et les exemples abondent.
Ahmad Abdallah, 70 ans, affirme regretter amèrement d’avoir marié son fils ainsi. « Je m’étais entendu avec celui qui était mon meilleur ami pour que mon fils épouse sa fille et vice-versa ».
Mais sa fille, en conflit avec son époux, est retournée vivre chez ses parents au bout de deux ans, et les deux familles ont fini par forcer les deux couples à divorcer en même temps, conformément à la coutume.
Ce septuagénaire dit que son fils a tellement été éprouvé par sa séparation avec sa femme « qu’il aimait tant », qu’il en a perdu la raison.
Une tradition qui n’a rien à voir avec l’islam.
Les oulémas assurent que cette tradition n’a rien à voir avec l’islam, contrairement aux croyances dans les zones rurales où ce mariage est encore largement pratiqué.
Les enfants payent souvent le prix de ce genre de mariage. Mohammad Saïd, 35 ans, a accepté sous la pression de sa famille un « mariage d’échange », « afin que ma soeur, plus âgée que moi, ne devienne pas vieille fille », dit-il.
« Mes parents pensaient ainsi faire d’une pierre deux coups. Mais je ne me suis pas entendu avec ma femme, et nous avons divorcé au bout de deux ans. Mon épouse a pris nos deux enfants et je ne les ai pas revus depuis quatre ans. Par conséquent, ma soeur a dû faire de même et revenir chez nos parents avec ses trois enfants », ajoute-t-il.
Quant à Khaled Hammoud, 28 ans, le mari de sa soeur a pris une deuxième épouse, la polygamie étant autorisée au Yémen. Sa famille l’a forcé à faire de même, ce qui a entraîné des problèmes incessants entre les deux épouses.
Les mariages de ce type aboutissent parfois à des vendettas entre familles, comme dans le cas de deux hommes, dont l’un a divorcé alors que le second ne voulait pas se séparer de sa femme, raconte Saïd al-Waili, un proche de cette dernière.
Les frères et les cousins de la femme ont alors pris d’assaut sa maison, forçant son mari à la répudier et la ramenant chez ses parents. Mais l’un des assaillants a été tué lors d’échanges de coups de feu au cours du raid, et une vendetta oppose désormais les deux familles.
Pour la sociologue Amani Maysari, cette pratique se poursuit « en raison de la pauvreté qui s’aggrave et des exigences croissantes au sujet de la dot », ce qui permet d’éviter aux familles ce fardeau.
La ministre des droits de l’Homme Houria Machhour souligne qu’il n’y a pas de statistiques sur ce genre de mariage au Yémen, pays le plus pauvre de la Péninsule arabique et à forte structure tribale.
« La femme est surtout victime dans ce genre de mariage, elle est privée de ses droits et notamment de toute compensation en cas de divorce », dit-elle.
La dot comporte deux parties, une somme versée par l’époux lors du mariage, et un montant qu’il devra payer en cas de répudiation.
Aucune campagne n’a été menée contre le « mariage d’échange » au Yémen, contrairement au mariage de mineures, contre lequel les militants de
s droits de l’Homme se sont fortement mobilisés.
Ils tentent notamment d’obtenir du Parlement de fixer un âge légal minimum pour limiter les mariages des fillettes, dont la plus célèbre est Nojoud Mohammad Ali, qui avait obtenu le divorce après avoir été mariée de force à huit ans à un homme de vingt ans son aîné.
AFP