Dix ans presque jour pour jour après le naufrage du ferry sénégalais Le Joola, les proches des 22 victimes françaises attendent toujours une réponse de la justice pour mettre fin à leur marathon procédural et faire « leur deuil ».
Engagées dans un bras de fer depuis l’information judiciaire pour homicides involontaires et non assistance à personnes en péril ouverte à Evry le 1er avril 2003, les familles des victimes françaises espèrent un renvoi devant un tribunal des responsables sénégalais de l’époque.
« On ne peut pas s’arrêter là, ça fait dix ans qu’on se bat. On sait qu’il y a d’autres associations de victimes qui ont mis 15, 17, 18 ans avant d’avoir droit à un procès, déclare Alain Verschatse, président de l’association des victimes françaises du Joola. Il y a une attente de justice. »
Dans cette enquête, le parquet d’Evry a requis un non-lieu au cours de l’été 2011. Mais sept responsables sénégalais, civils et militaires, restent visés par des mandats d’arrêt.
Un seul d’entre eux a été interpellé, en octobre 2010 à Paris, mis en examen et placé sous contrôle judiciaire.
Nouvelle étape dans le marathon judiciaire des familles, la Cour de Cassation doit examiner le 6 novembre, le pourvoi de six des sept responsables sénégalais, après le rejet de la requête en nullité de l’enquête par la cour d’appel de Paris, en mai.
Selon les avocats des deux parties, « l’immunité de juridiction » qui a pour effet de faire échapper un État ou l’un de ses organes à la compétence des tribunaux d’un État étranger, sera au centre des débats comme lors d’une précédente audience en janvier 2010.
« Cumul d’incuries »
« C’est toujours la même histoire, les mis en cause se drapent dans la dimension politique de leurs fonctions », indique Me Louis Boré, avocat des parties civiles.
A l’époque, la chambre criminelle de la Cour de Cassation avait annulé définitivement deux mandats d’arrêt internationaux ciblant l’ex-Premier ministre sénégalais, Mme Mame Madior Boye, et l’ex-ministre des forces armées Youba Sambou.
Cette décision avait mis fin à un début de crise diplomatique entre la France et le Sénégal dont la justice a refermé le dossier dès 2003 et qui s’était vivement ému des poursuites à l’encontre de ces deux hauts responsables.
« On est les empêcheurs de tourner en rond », observe M. Verschatse qui a perdu sa fille Claire âgée de 20 ans lors du drame et qui compte profiter d’un nouveau voyage au Sénégal pour sonder Dakar sur la réouverture éventuelle d’une enquête.
Dénonçant un « cumul d’incuries » lors du naufrage du navire un soir de tempête au large de la Gambie, le 26 septembre 2002, alors qu’il reliait Ziguinchor (sud) à Dakar, M. Verschatse regrette que « les familles des victimes [n’aient] toujours pas pu faire leur deuil », en l’absence d’une réponse judiciaire.
« Chacun reste avec ses convictions mais on a un besoin de justice », confie pour sa part, Patrice Auvray, un des 64 rescapés du « plus gros naufrage de tous les temps » et auteur d’un livre-témoignage, « Souviens-toi du Joola ». Dans cette catastrophe, 1.863 personnes ont officiellement péri.
Selon M. Auvray qui a choisi de rester vivre en Casamance, « parmi ses frères de malheur », « on pourra parler de naufrage de la justice si elle baisse les bras ».
AFP