Entre 1963 et 2002, l’Organisation de l’unité africaine (OUA) a eu largement le temps de faire preuve de sonincompétence.
Au point d’être affublée du qualificatif peu enviable de «club de dictateurs», se soutenant les uns les autres.
Depuis 2002, l’Union africaine (UA) a pris le relais. Mais dix ans après, il faut bien constater que si elle a fait un peu mieux que l’OUA, ce qui n’était guère difficile, elle a eu beaucoup de mal à crédibiliser l’institution panafricaine.
Son incapacité, il y a six mois, à faire élire le président de sa Commission n’a fait que souligner sa profonde crise existentielle. Il est temps de trancher dans le vif et savoir quel modèle mettre en place sur le continent.
L’Union africaine est un peu la petite sœur de l’Union européenne, qui finance en grande partie son budget.
Un mimétisme inefficace
Les Africains n’ont pas fait preuve de beaucoup d’imagination et ont calqué leurs institutions sur celles existant déjà à Bruxelles ou Strasbourg.
Ces organismes ont été imposés, sont venus d’«en haut», sans vraiment susciter une demande, une adhésion populaire.
Si l’idéal panafricain est toujours vivace au sein des peuples africains, il a du mal à dépasser les égoïsmes nationaux pour se concrétiser sur le terrain.
C’est sûrement dans la musique et surtout dans le football que l’idéal de Kwamè N’krumah, le premier président du Ghana et chantre du panafricanisme, a réussi à dépasser les frontières.
La rumba et autres rythmes congolais font danser les Africains d’Abidjan à Nairobi en passant par Soweto. Les stars du foot bénéficient d’une popularité au sein de la jeunesse qui dépasse les frontières étroites de leur pays.
Mais qui connaît le président de l’Union africaine? Le titulaire change chaque année et a très peu de pouvoirs. Le chef de l’exécutif, le président de la Commission de l’UA est davantage connu du grand public. On le voit à la télévision lors des sommets internationaux.
Mais quel est le pouvoir de ce dernier face à des chefs d’Etat, soit directement et démocratiquement élus par le peuple, soit vissés au pouvoir depuis plusieurs décennies, souvent à la faveur d’un coup d’Etat militaire? Qui osera braver l’autorité de ces «dinosaures africains»? Sûrement pas l’UA.
Des institutions de façade
A quoi servent tous ces fonctionnaires de l’UA à Addis Abeba? A quoi servent les députés panafricains qui siègent deux fois par an en Afrique du Sud et bénéficient d’émoluments enviés?
Le Parlement de l’Union africaine, dont le rôle est uniquement consultatif, est basé à Midrand, une ville perdue entre Pretoria et Johannesburg.
Des accusations de malversations sont régulièrement lancées. Mais aucun débat public sur son utilité n’a jamais été lancé au niveau continental.
La consolidation de la démocratie africaine se fait d’abord au niveau local, puis national. Pas au niveau de l’institution de Midrand, que personne ne connaît et que personne ne veut connaître.
Fin mai, un Nigérian inconnu a succédé à un Tchadien inconnu, comme président du Parlement africain, dans l’indifférence générale.
Mais le Parlement n’est pas la seule institution à voir son existence même contestée. A quoi sert, par exemple, la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples qui siège à Banjul, capitale de la Gambie dirigée par l’autocrate Yahyia Jammeh depuis 1994?
Ces institutions, qui sont le calque tropical d’organisations européennes, sont financées à bout de bras par les bailleurs de fonds internationaux, au nom de la promotion de la démocratie sur le continent. Mais ne profitent qu’à une poignée de bureaucrates.
L’argent versé ne serait-il pas mieux utilisé s’il était reversé, avec un contrôle strict, à des organisations de la société civile ou de défense des droits de l’Homme? A des organismes de micro-crédits ou d’aide à la création d’entreprises? Ou à financer les bourses d’étudiants dans les domaines de la santé, du commerce ou du droit par exemple?
Le piège de l’exemple de l’UE
Le modèle européen est lui-même à bout de souffle. La zone euro est au bord de l’implosion, piégée par les dettes publiques colossales de la Grèce, de l’Espagne et de l’Italie. Il est bien loin le temps où le lancement de l’euro, il y a un peu plus d’une décennie, promettait des lendemains qui chantent.
Une monnaie commune à l’Allemagne et à la Grèce ne pouvait pas fonctionner longtemps sans crise majeure. Elle empêche notamment les dévaluations compétitives des pays en difficultés, elle prive les gouvernements d’un instrument majeur de souveraineté.
L’Afrique doit-elle aveuglement copier un modèle en train d’imploser? Elle n’est pas prête pour davantage d’union politique, économique et monétaire, au moins sur le plan continental.
Pour sortir du piège de l’égoïsme national, il faut clairement privilégier la coopération régionale au lieu de rêver à un continent uni d’Alger au Cap, marchant comme un seul homme, avec un seul président, un seul gouvernement et une seule monnaie.
La Communauté est-africaine, autour de la locomotive kényane, est souvent citée en exemple. Un vrai marché commun, avec une union douanière, est en train de se construire des rives de l’océan Indien aux berges des lacs Tanganyika et Kivu.
Plus à l’ouest, l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa) avance progressivement même si le rythme est insuffisant. Le retour de l’éléphant ivoirien dans le jeu régional est assurément une bonne nouvelle.
Dans ces deux institutions, on parle union monétaire, harmonisation des droits des affaires, passeport commun mais pas politique. C’est peut-être la clé du succès. S’en tenir dans un premier temps aux questions pratiques.
Pourquoi pas l’option du sud-est asiatique?
Après tout, avant l’Union européenne, il y a eu la Communauté européenne du charbon et de l’acier, créée en 1950 et regroupant seulement six pays. L’Afrique est sûrement allée trop vite…
L’Union pourrait prendre exemple sur l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean). Cette instance, créée en 1967, regroupe dix pays et 600 millions d’habitants.
Pas d’intégration politique. Pas de monnaie unique pour permettre une relance des exportations via des dévaluations pays par pays. Et une intégration économique très progressive, et surtout pas à marche forcée comme les Européens.
L’Asean a privilégié la stabilité de ses membres. Pas de guerre. Jouer les médiateurs en cas de crise. Cela serait déjà une grande ambition pour les institutions panafricaines au moment où le nord du Mali brûle.
Adrien Hart
Slate Afrique