jeudi, décembre 26, 2024
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Comment les médias américains couvrent l'Afrique

Comment les médias américains couvrent l'Afrique

La vie est dure pour les expatriés d’Afrique. Nous aspirons de toutes nos forces à voir paraître davantage d’articles sur les grands événements du continent, et à ce que nos voisins en sachent davantage sur les lieux où nous étudions et travaillons.

Et pourtant, quand ces articles existent, ils nous font souvent grincer des dents.

Prenez par exemple la vague de violence actuelle  dans le nord du Mali. Au cours des derniers mois, le Mali a connu un coup d’Etat et une déclaration d’indépendance par des rebelles qui contrôlent désormais à peu près la moitié de son territoire. 

Le récent conflit a déplacé environ 268.000 personnes chassées par divers groupes d’islamistes et de rebelles séparatistes luttant pour le contrôle de villes-oasis du désert, tandis que la menace d’une crise provoquée par la sécheresse se profile à l’horizon avec l’arrivée de la saison sèche.
 

La situation au Mali est de loin la pire crise humanitaire du monde actuel, mais comparé, disons, à la Syrie ou à l’Afghanistan, vous n’avez probablement pas entendu grand-chose à son sujet.

Reportages stéréotypés 

Voyez aussi la rafale de reportages sur l’Afrique centrale qui a suivi le phénomène «Kony 2012 » en mars. Tout d’abord, il est très frustrant qu’il faille une vidéo virale  sur Internet ou l’engagement de célébrités hollywoodiennes pour attirer l’attention sur les ravages commis par des groupes comme l’Armée de résistance du seigneur (LRA).

Pire encore, beaucoup de correspondants en Afrique publient des articles qui tombent dans des stéréotypes pernicieux et autres tropes qui déshumanisent les Africains.

Les médias grand public publient fréquemment des reportages avec des unes comme «Le pays des mangues et de Joseph Kony,» visiblement sans se rendre compte à quel point un titre pareil peut être raciste et condescendant.

Les reportages occidentaux sur l’Afrique sont souvent bourrés d’erreurs factuelles, d’analyses incomplètes et de stéréotypes qui ne passeraient jamais le service de secrétariat de rédaction s’il s’agissait de la Chine, du Pakistan, de la France ou du Mexique.

Un journaliste qui écrirait des clichés aussi ouvertement insultants sur des politiciens allemands ou violerait les normes déontologiques concernant la protection des victimes de pédophilie dans l’Ohio serait au minimum sanctionné et pourrait même y perdre son emploi.

Mais quand il s’agit de l’Afrique ces problèmes sont tolérés, et, dans certains cas, glorifiés.
 

«Au coeur des ténèbres»

Une rapide recherche dans les archives de Google News pour «Congo» et «cœur des ténèbres»donne presque 4.000 résultats, dont la majorité ne sont pas des critiques littéraires mais servent plutôt à donner un côté plus exotique à la République Démocratique du Congo, tout en évoquant des stéréotypes sur la race et la sauvagerie.

Imaginerions-nous une seconde une publication sérieuse utilisant le même genre de terminologie pour décrire le sud de Chicago, de Baltimore ou de n’importe quelle autre ville à prédominance africaine-américaine? 

Pour les observateurs de l’Afrique, il y a clairement deux poids, deux mesures en termes de qualité, d’intégrité et de déontologie journalistique lorsqu’il s’agit de faire des reportages sur le continent.

C’est suffisant pour nous donner envie de hurler ou d’aller ramper dans un coin en regrettant le temps où Howard French  couvrait l’Afrique de l’Ouest et du Centre pour le New York Times.

Même si son travail de journaliste portait sur les violences post-Guerre froide parmi les pires du continent, les reportages de French pour le Times au milieu des années 1990 étaient nuancés et équilibrés, et reflétaient les réalités de l’Afrique qu’il ne présentait pas simplement comme une terre ravagée par la guerre et la pauvreté, mais plutôt comme un système complexe de sociétés comme n’importe quelles autres, constituées de gens normaux qui faisaient de leur mieux pour vivre décemment.

54 Etats pour une poignée de journalistes

Pourquoi tant de mauvais reportages sur l’Afrique?

Une partie du problème réside dans le nombre limité de journalistes assignés au continent. Beaucoup de grands médias occidentaux n’affectent qu’un seul correspondant à toute l’Afrique —plus de 28 millions de kilomètres carrés. Il ou elle est basé(e) à Johannesburg ou Nairobi, mais devra être parachuté(e) d’une minute à l’autre au Niger, en Somalie  ou dans le pays où éclatera la prochaine crise.
 

Au mieux, les plus grandes publications ont deux ou trois correspondants régionaux en Afrique, chacun responsable de 10 à 15 pays.

Les agences de presse ont généralement une meilleure couverture du continent, mais même elles ne peuvent poster un correspondant dans chaque pays.

C’est dément. L’Afrique est un continent constitué de 54 États distincts, tous pourvus de multiples langues, de groupes ethniques et de dynamiques politiques uniques. Nulle part ailleurs dans le monde —pas même en Amérique latine, pourtant largement peu couverte par les médias— on ne demanderait à une seule personne de faire des reportages sur tant de situations compliquées.

Pourtant, en termes de couverture médiatique de l’Afrique par l’Occident, ce genre de situation est courante. On pourrait avancer que ces moyens limités résultent du déclin des revenus des médias traditionnels à l’âge de l’Internet.

Engager des correspondants africains

Il existe une solution simple à ce problème: engager des journalistes locaux. Une exception notable à l’histoire de la mauvaise couverture médiatique de l’Afrique est celle de la BBC, dont le World Service entretient depuis longtemps des correspondants dans la plupart des capitales du continent.

Bien que le budget du World Service ait été réduit plusieurs fois à cause d’une baisse du soutien du gouvernement, la BBC a réussi à garder une bonne présence sur le terrain africain en s’appuyant en grande partie sur des journalistes locaux. Cela a été particulièrement important enSomalie.

Pendant vingt ans, il a été presque impossible pour les journalistes occidentaux de faire leur travail complètement et librement de Somalie pour des questions de sécurité, mais les correspondants et les producteurs locaux de BBC Somali Service excellent à faire sortir les nouvelles de leur pays.

Il n’y a pas de raison que d’autres grands médias ne puissent pas engager des journalistes locaux pour améliorer leur couverture. Plutôt que de les reléguer au statut de journalistes de seconde zone ou de co-auteurs, pourquoi ne pas engager des Africains comme correspondants nationaux ou régionaux?
 

Un journaliste n’est pas obligé d’être blanc pour fournir des reportages objectifs et bien écrits depuis le continent, et dans de nombreux cas, ces reportages sont plus nuancés que ceux d’un correspondant international qui n’y consacre que cinq jours d’enquête.

Le reportage et l’analyse de loin les plus réfléchis sur les réactions ougandaises à la vidéo viraleKony 2012 n’ont par exemple pas été le fait de journalistes américains, mais celui du reporter ougandais Angelo Izama qui, il faut le reconnaître au New York Times, a pu publier un article d’opinion dans ses pages.

Pourquoi le Times ne pourrait-il pas engager Izama ou quelqu’un d’également qualifié pour couvrirl’Ouganda  à plein temps?

Frontières linguistiques et interprètes

Engager des journalistes locaux résout aussi le problème de la langue, autre raison expliquant pourquoi les reportages sur l’Afrique sont si mauvais.

C’est particulièrement évident à l’endroit de la frontière anglophone-francophone: les reportages sur la crise au Mali  par des médias comme l’Agence France-Presse et France 24 ont été bien meilleurs que ceux des médias anglophones.

Ils détenaient les meilleures informations du front et pouvaient interviewer facilement des Maliens non-anglophones.

Le problème n’est pas seulement qu’on ne peut pas demander à des reporters de parler les plus de 3.000 langues africaines, c’est que les correspondants étrangers ont tendance à s’appuyer sur le même petit groupe d’intermédiaires débrouillards pour arranger des interviews, trouver des interprètes et organiser la logistique.

Mais ces intermédiaires ont tendance à toujours organiser des rencontres avec les mêmes personnes.
 

Il en résulte souvent une sorte de chambre d’écho car les mêmes interviews sont menées avec, en gros, les mêmes questions et les mêmes réponses.
 

Les ONG font la loi

Ce problème est bien pire dans les zones de conflit, où les ONG organisent souvent des déplacements sécurisés pour les journalistes afin de faire connaître leur situation (et lever des fonds pour leurs opérations humanitaires).

Vu le défi que représente le journalisme au milieu d’un conflit ouvert, cette relation symbiotique arrange tout le monde: le journaliste a son papier et l’ONG une bonne publicité pour sa campagne.

Le problème est que l’on obtient bien souvent des reportages subjectifs et loin d’être impartiaux. Par exemple, une bonne partie des reportages sur le conflit dans les Monts Nouba au Soudan  a été facilitée par l’ONG américaine Samaritan’s Purse.
 

Beaucoup des journalistes voyageant avec Samaritan’s Purse ont utilisé le même intermédiaire pour leurs articles, Ryan Boyette, ancien employé du groupe marié à une femme originaire de Nouba et qui gère une initiative locale, pour décrire les atrocités commises là-bas.

En l’espace de quelques semaines, Boyette est aussi devenu le sujet d’un profil flatteur dans le New York Times  par Nicholas Kristof, a fait l’objet d’un article de Jeffrey Gettleman  pour la même publication et a été interviewé par Ann Curry  pour l’émission Today de NBC.
 

Il ne s’agit pas de mettre en doute la crédibilité ou l’analyse de Boyette (même s’il est loin d’être un observateur neutre), mais plutôt de souligner l’un des nombreux exemples de la manière dont le manque d’accès et de maîtrise de la langue déforme le journalisme occidental en Afrique.

Comme le note Karen Rothmyer dans un article  de la Columbia Journalism Review, beaucoup de journalistes travaillant sur l’Afrique dépendent «lourdement, et sans aucun sens critique, d’organisations humanitaires pour leurs statistiques, leurs sujets, leurs histoires et leurs sources.»

Rien d’étonnant donc si tant d’articles sur l’Afrique se concentrent sur les crises et que beaucoup ressemblent étrangement à du matériel promotionnel d’ONG.

Déontologie à géométrie variable 

Autre grand problème: le manque de déontologie de certains journalistes qui travaillent sur le continent.
 

Les normes de description et d’identification des victimes de conflits, de viols et de pédophilie sont souvent beaucoup moins respectées que lorsque la victime est américaine ou européenne. Il est très courant de voir des photos d’enfants mourant de faim ou des victimes de viol dans les pages des journaux occidentaux.

L’exemple le plus extrême est celui de l’identification par Kristof, en 2010, d’une fillette congolaise de 9 ans victime d’un viol collectif. Le New York Times publia le nom de la fillette et une photo de son visage et posta même une vidéo d’elle en ligne.

Après de violentes polémiques, Kristof posta une réponse sur son blog  dans laquelle il promettait de ne pas le refaire, tout en réfutant les critiques affirmant qu’il mettait l’enfant en danger en l’identifiant. Il reconnut cependant qu’imprimer son nom violait la politique du Times, même s’il avait reçu l’autorisation d’une femme qui jouait le rôle de tutrice de l’enfant.

Difficile d’imaginer un rédacteur en chef, quel qu’il soit, laisser une telle «bavure» se produire dans un article concernant une victime occidentale de pédophilie. Un article pareil n’aurait jamais pu —ou ne devrait jamais— arriver jusqu’à l’étape de la publication sans que le nom soit changé, la photo retirée ou remplacée par un cliché non-identifiable et sans qu’il soit rappelé qu’il n’est pas dans les principes du Times de publier le nom des victimes de viol.

C’est précisément ce genre de double traitement qui enrage les observateurs de l’Afrique et ceux qui se soucient de l’éthique des reportages sur les victimes de violences. Pourtant, ce genre d’abus est trop souvent toléré dans les médias occidentaux quand il s’agit de l’Afrique.

Est-ce parce que l’Afrique est toujours, dans beaucoup d’esprits occidentaux, «l’autre» exotique des films et de l’imaginaire?

Ou parce que beaucoup de reporters occidentaux approchent encore l’Afrique avec un sentiment mêlé d’excitation de se trouver dans un lieu si «unique» et de peur inspirée par le Cœur des Ténèbres?
 

Ou est-ce simplement l’ignorance d’une Afrique qui, comme le remarque l’auteur kenyan Binyavanga Wainaina, ne ressemblera jamais à ce à quoi l’Occident voudrait qu’elle ressemble? Je n’ai pas de réponse définitive.

Mais je suis persuadée qu’on peut mieux faire.

Laura Seay
 

Foreign Policy
 

Traduit par Bérengère Viennot

 

 

 

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