Celluloïd ou numérique? Le débat fait rage cette année au Fespaco, le grand festival du cinéma africain de Ouagadougou, que des réalisateurs poussent à briser rapidement le monopole du sacro-saint 35 mm en sélection officielle.
Créé en 1969 par une poignée de cinéastes et de cinéphiles, le festival, qui se poursuit jusqu’à samedi, bannit toujours de la prestigieuse section long métrage les films tournés en caméra numérique. Un film en numérique doit nécessairement être « kinescopé » (transféré sur pellicule) pour être retenu et briguer l’Etalon d’or de Yennenga, la récompense reine.
« Nous sommes dans un festival ringard qui refuse l’évolution technologique », peste le cinéaste burkinabè Boubacar Diallo, infatigable avocat du numérique.
Primé au Fespaco 2009 pour son deuxième long métrage « Coeur de lion », il aligne son nouveau film « Congé de mariage » dans la section « TV-vidéo », faute d’argent pour le kinescopage, explique-t-il à l’AFP.
La direction du festival a d’ailleurs indiqué mercredi avoir décidé que quatre longs métrages sélectionnés seraient interdits de prix cette année. Raison invoquée: ils n’ont pas été kinescopés, contrairement aux promesses faites. Mais des participants au festival ont protesté contre cette exclusion et lancé une pétition.
« Le 35 mm est mort. Nous sommes dans l’ère du numérique, il n’y a plus rien à faire », tranche le réalisateur Balufu Bakupa-Kanyinda (RD Congo), président de l’Association des réalisateurs et producteurs d’Afrique.
Même son de cloche du côté du cinéaste camerounais Jean-Pierre Bekolo, qui vient de tourner en numérique son dernier film, « Le président ». Pris par les délais, il ne l’a pas soumis au Fespaco, mais l’opus a été présenté en marge de l’événement.
Consensus d’ici samedi?
« Je ne comprends pas pourquoi les Africains s’accrochent au 35 mm, qu’ils n’ont pas inventé », lâche-t-il. Et d’administrer une petite leçon d’histoire: « Quand on est passé du cinéma muet au cinéma parlant, il y en a qui ont grogné. Ensuite, quand on est passé du noir et blanc à la couleur, il y a des réalisateurs qui ont dit que la couleur a tué la belle image ».
La question suscite en effet de très forts tiraillements parmi les cinéastes à Ouagadougou entre les tenants du numérique, vanté comme moins coûteux et plus maniable, et les défenseurs du 35 mm, qui estiment que le support numérique décuple la piraterie et refusent que tout un chacun puisse se prétendre réalisateur.
Cependant, la cause du numérique semble avancer sérieusement. Dans les couloirs du Fespaco, il se dit de plus en plus que le festival pourrait être amené à admettre le numérique lors de sa prochaine édition, en 2015.
Pour Balufu Bakupa-Kanyinda, qui avec d’autres mène depuis plusieurs années « pour le compte du Fespaco » une réflexion sur « la transition vers le numérique », l’heure a sonné: le digital va être accepté, « le Fespaco lui-même va annoncer la nouvelle ».
Le patron du festival Michel Ouédraogo se montre plus prudent. S’il concède que « le temps du numérique viendra », il souligne que toute évolution nécessite un changement du règlement en accord avec « les professionnels africains ».
Il assure toutefois, sans en dire davantage, qu’un « consensus » est à portée de main et qu' »une décision définitive sera prise à la fin du festival » samedi, jour du palmarès.
L’avenir du Fespaco est au numérique, s’enthousiasme déjà Jean-Pierre Bekolo. Selon lui, des discussions ont été ouvertes avec le site de vidéo en ligne YouTube, filiale du géant américain de l’internet Google, pour permettre une diffusion des films parallèlement aux projections lors de chaque biennale.
Mais si le Fespaco fait le grand saut, cela aura un coût: de nouveaux équipements seront nécessaires. « Il faudrait rééquiper les salles de cabines numériques. Or une cabine coûte 150.000 euros », avertit Balufu Bakupa-Kanyinda.
afp