En annonçant avoir tué deux importants chefs jihadistes au Mali, le Tchad, qui a consenti un effort important et coûteux en hommes pour cette intervention, se positionne en puissance régionale, s’appuyant sur la force de son armée et de ses pétro-dollars.
La mort des deux chefs islamistes algériens Mokhtar Belmokhtar et Abdelhamid Abou Zeïd – annoncée par les Tchadiens mais que Bamako et Alger n’ont pas confirmée – pourraient être utilisée comme des trophée par Idriss Déby: le Tchad se poserait alors comme un des boucliers africains contre l’islamisme radical, et bénéficierait non seulement d’un plus grand poids diplomatique, mais aussi de financements occidentaux.
Une occasion pour le président Deby, au pouvoir depuis 1990, de faire oublier les critiques sur les carences démocratiques, les violations des droits de l’Homme de son régime et la grande misère de sa population malgré la manne pétrolière.
« Depuis quelques années, le Tchad cherche à s’affirmer comme une puissance régionale et il le fait assez bien », juge une source diplomatique occidentale, soulignant que la normalisation en 2010 de ses relations avec le Soudan a changé considérablement la donne.
Cette paix dans l’Est avec le Soudan, lui a permis de tisser de nouveaux liens diplomatiques avec la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) et son grand voisin le Nigeria, tout en relançant la Communauté des Etats Sahélo-Sahariens (Cen-Sad) après la disparition du leader libyen Mouammar Kadhafi.
L’armée tchadienne a joué le principal rôle de stabilisateur dans la crise centrafricaine en janvier.
Mais l’intervention au Mali, où le Tchad s’est déployé rapidement contrairement aux pays de la Cedeao, est l’initiative la plus spectaculaire sur le plan international.
Ses meilleures troupes au Mali
L’attaque fulgurante de 2008 menée par les rebelles, qui les avait vu arriver aux portes du palais présidentiel d’un régime soutenu logistiquement par l’armée française est désormais loin. Depuis, avec les pétro-dollars, le président Idriss Déby Itno a réorganisé et modernisé son armée qui n’est plus orientée uniquement vers la défense contre les rezzous (raids) venus de l’Est.
Déby peut désormais projeter ses troupes ailleurs, et il n’a pas tardé à envoyer ses meilleures troupes au Mali avec l’un de ses fils. Elles sont aujourd’hui sur le principal théâtre d’opérations.
« Les combattants tchadiens (…) ont une mobilité, une rusticité tout à fait adaptées. Ils se battent avec des méthodes assez comparables à celles employées par les para-militaires des groupes jihadistes », note Pascal Le Pautremat, spécialiste des questions de défense.
Les militaires tchadiens ont pour la plupart déjà connu le feu au cours de différentes attaques rebelles dont la dernière date de 2009. Toutefois, certaines sources militaires soulignent que si ces soldats sont réputés pour « leur courage et discipline », ils ont plutôt l’habitude de combattre à découvert et non dans les massifs rocheux comme les Ifoghas où se cachent les jihadistes.
Un haut responsable sécuritaire d?un pays voisin du Mali relativise le rôle des Tchadiens: ils « ne peuvent rien faire sans les Français (…) Les Tchadiens ont déployé très rapidement 2.000 hommes et ont maintenant de gros problèmes logistiques. Et puis ils ont du mal à se coordonner avec les Français, ce sont deux armées tellement différentes ».
Sur le plan intérieur, Déby a aussi intérêt à montrer que ses troupes sont efficaces après la perte de 26 hommes. « S’il a élevé les morts au rang de martyrs, promis un monument et assuré de prendre en charge les familles, c’est qu’il sait qu’il faut justifier ces pertes », souligne un haut fonctionnaire tchadien.
Pour le moment, l’opposition tchadienne soutient l’intervention mais « s’interroge » sur l’absence des Maliens aux côtés des Tchadiens. Dans l’opinion, le courant semble plutôt favorable: « L?intervention du Tchad au Nord du Mali est légitime parce que les terroristes n?ont pas de frontières. Le Tchad qui fait frontière avec le Niger, le Nigeria et la Libye est exposé. Si nous ne participons pas à l?anéantissement de ces forces de malheur au Mali, elles viendront aussi chez nous », analyse Mariam Ayono, 35 ans, commerçante.
Toutefois, il existe des voix discordantes. « Quel intérêt à envoyer nos frères au nord Mali alors que les Ouest-africains ne font rien. Qu?est-ce que le Tchad reçoit en contre-partie? Rien », affirme Aldom Simplice, 53 ans, médecin. « On a connu de longues années de guerre. Ca suffit ».
AFP