Le président ivoirien Alassane Ouattara (78 ans) a annoncé le 6 août, puis confirmé le 20 qu’il briguerait un nouveau mandat en octobre. Quelques jours plus tard, le parti au pouvoir en Guinée a demandé au président Alpha Condé (82 ans) de se présenter, lui aussi, pour la troisième fois. Quel que soit le subterfuge utilisé, la forme juridique vendue à leurs soutiens, les impétrants brigueront à coup sûr un troisième mandat. L’un que l’autre président, ont utilisé « les éléments de langage » pour tenter de faire avaler la pilule.
Ce n’est pas un troisième mandat, arguent –ils, mais le premier mandat de la nouvelle république. Etant entendu que chaque fois que la Constitution change, c’est une nouvelle république qui entre en vigueur. Une constitution dont la révision aura été savamment renouvelée en amont. Sauf que, aussi bien en Guinée qu’en Côte d’Ivoire, les artefacts juridiques ne passent pas. Ce qui a occasionné de nombreuses violences, et déjà, de nombreux morts dont on aurait pu faire l’économie.
De tels agissements montrent que l’Afrique est loin d’en avoir fini avec l’ère désastreuse des présidents à vie. Amorcée dans la foulée des indépendances, celle-ci s’est prolongée jusqu’à la fin des années 1990, avec des effets délétères sur la stabilité, la démocratie et le développement socio-économique du continent. On a rué dans les brancards de l’ancien président français Jacques Chirac quand il déclarait déjà en 1996 que « la démocratie est un luxe pour les Africains».
Au cours des vingt dernières années, l’Union africaine (UA) a mis au point des moyens relativement efficaces pour lutter contre les coups d’Etat anticonstitutionnels contre les gouvernements. En revanche, l’UA n’a toujours pas réussi à régler le problème des présidences impériales. Du fait de cette inaction, l’organisation se voit traitée de club privé des dirigeants en place.
Sept des dix présidents en exercice avec le plus long règne sur la planète sont Africains. Le Camerounais Paul Biya, qui dirige le pays depuis 1982, le Congolais Sassou N’Guesso depuis 1997, et Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, aux commandes de la Guinée équatoriale depuis 1979 figurent en bonne place. Leurs régimes sont souvent définis par l’instabilité, l’absence de libertés civiles comme politiques.
Issu des rangs de l’opposition, Alpha Condé a pris le pouvoir en 2010 après avoir remporté les premières élections pluralistes organisées en Guinée à la mort, en 2008, de Lansana Conté, lui-même arrivé à la tête du pays au moyen d’un coup d’Etat vingt-quatre ans auparavant. Un gouvernement de transition, mis en place en 2010, a été suivi de l’adoption d’une nouvelle Constitution et de nouvelles élections. Farouche adversaire de Lansana Conté, Alpha Condé s’est notamment opposé à l’amendement constitutionnel de 2003 autorisant son adversaire à briguer un troisième mandat. Une fois aux commandes, en 2010, Alpha Condé a rapidement consolidé son pouvoir grâce à l’hégémonie de son parti, le Rassemblement du peuple de Guinée, avant d’être réélu en 2015. En 2019, son gouvernement a annoncé son intention d’adopter une nouvelle Constitution visant à contourner une disposition interdisant de modifier la limite de deux mandats présidentiels. Critiquant cette initiative, l’opposition a jugé qu’elle bafouait l’esprit de la Constitution de 2010, laquelle s’opposait aux mandats illimités. Malgré les manifestations qui ont eu lieu à Conakry et dans le reste du pays, le référendum constitutionnel, qui s’est finalement tenu le 31 mars 2020 et a abouti à l’adoption de la nouvelle Constitution. Si cette dernière conserve la limite des deux mandats, elle ne dit rien de ceux déjà exercés avant son entrée en vigueur, ce qui laisse à Alpha Condé le loisir de solliciter deux nouveaux mandats et de rester à la tête du pays jusqu’en 2032.
Le constat est le même en Côte d’Ivoire. Quid des mandats déjà exercés par le passé. Ce qui donnerait à Ouattara la possibilité, s’il le désire, de rester encore dix ans au pouvoir, soit deux décennies au total. Les constitutionnalistes de son parti, des ministres de son camp, avaient soutenu mordicus que la nouvelle Constitution ivoirienne, votée en 2016, ne lui permettait pas de se présenter à la présidentielle. La main sur le cœur, ils déclaraient que ce serait un troisième mandat, de fait. Aujourd’hui ils sont emmurés dans un silence assourdissant et complice.
Au vu de la mainmise des présidents sur la commission électorale, les ressources de l’Etat, l’administration et les forces de sécurité, ainsi que les limites imposées aux groupes d’opposition, il est fort probable que les élections ne seront ni libres ni équitables et leur assureront la victoire. L’opposition risque de les boycotter. Mais en Afrique, un président mal élu est un président quand même.
La législation sur la limitation des mandats a conduit les dirigeants africains à opérer quelques changements démocratiques. Parmi les exemples les plus récents figurent la République démocratique du Congo (2019), la Sierra Leone (2018) et le Liberia (2017). Dans ces trois pays, les élections, marquées par une forte compétition, ont été remportées par l’opposition. Le président du Niger, Mahamadou Issoufou, coupant l’herbe sous le pied de ses homologues de la CEDEAO, ne se présentera, car pour lui « le Niger dispose de personnes, autres que moi, à même de diriger ce pays. Je ne pense pas être ni indispensable ni le plus intelligent pour pouvoir m’éterniser au pouvoir ».
Hélas, avant Ouattara et Condé, d’autres présidents avaient modifié la Constitution de leur pays pour prolonger leur mandat. On retrouve dans cette liste le Togo (2002) et le Gabon (2003). Ces derniers abus de pouvoir prouvent qu’il reste encore du chemin à parcourir avant que cette pratique soit éradiquée.
Et si on adoptait le modèle gambien ? Dans ce pays, le projet de Constitution, qui fixe non seulement la limite à deux mandats mais comptabilise ceux effectués avant son adoption, fait figure de modèle pour le continent. L’Union africaine doit, en outre, relancer ses efforts pour imposer à l’échelle du continent une limite de deux mandats présidentiels. Une disposition du projet de charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, qui prévoyait de le faire en 2007, a été abandonnée après que le président ougandais Yoweri Museveni avait déjà supprimé cette limite dans son pays en 2005. De même, la volonté affichée par la CEDEAO de mettre en place une limite à deux mandats s’est heurtée en 2015 à l’opposition de la Gambie, alors sous la dictature de Yahya Jammeh, et du Togo, dont les Constitutions ne contenaient aucune limitation de mandat.
Nous aurions voulu rester optimistes pour l’avenir de la démocratie en Afrique, mais les faits nous donnent tort. Au fond, peut-être sommes-nous juste de doux rêveurs !
Malick DAHO, paru dans le Diasporas-News n°118 d’Octobre 2020