Entre le président Alassane Ouattara et son jeune homologue bissau-guinéen Umaro Cissoco Embalô, c’est la guerre ! Une guerre à fleurets mouchetés qui s’est déclenchée depuis le premier trimestre de l’année. Et elle prend des proportions insoupçonnées. Le nouvel homme fort de Bissau veut être reconnu comme un président à part entière par ses pairs. Or, dans le cénacle des présidents ouest-africains réunis au sein de la CEDEAO, les appellations du style « jeune frère », « fiston » ou « mon petit » sont aussi affectives que méprisantes. Ce que refuse Embalô. Il veut du « Monsieur le Président », un point, c’est tout ! Ce qui a pour conséquence de provoquer des colères fréquentes chez ses pairs, à commencer par l’Ivoirien.
Mais Embalô n’agit pas de la sorte juste par impertinence. Il sait qu’il n’a pas eu le soutien de certains présidents lors de la présidentielle qui l’a porté à la tête de la Guinée-Bissau. On a appris que d’autres ont essayé de le renverser avant même sa prise de fonction. Et par-dessus le marché, cette propension d’Alassane Ouattara à se montrer supérieur aux autres du fait de son passé au Fonds monétaire international (FMI) l’agace au plus haut point. Embalô a gagné les élections dans son pays, il dirige un état, certes petit, moins peuplé et moins riche que ses voisins, mais il exige le même respect de leur part. Même s’il n’a que 47ans. « Ils n’ont aucun respect pour moi, mais ils peuvent faire la courbette devant Emmanuel Macron, qui est encore plus jeune que moi (42 ans). Pourquoi, parce que la Guinée-Bissau est un sous-pays ?», aurait-il pesté.
On le savait à couteaux tirés avec le président Alpha Condé de la Guinée-Conakry qu’il avait cité comme un obstacle à sa victoire à la présidentielle. L’intrépide président a donc désormais dans son collimateur le président Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire, lequel, selon son entourage, n’aurait ménagé aucun effort pour bloquer “le processus de normalisation en cours” depuis la victoire d’Embalô au second tour de la présidentielle suivie d’une investiture tout aussi contestée. En outre, lors d’une récente réunion de la CEDEAO, il a tancé tous « les vieux présidents qui modifient leur constitution pour s’accrocher au pouvoir ». Sur la crise malienne, il s’est opposé à l’Ivoirien qu’il accuse de se prendre pour le président en exercice de l’organisation sous-régionale, alors que c’est Mahamadou Issoufou, le Nigérien qui la préside.
En fait, hormis le président du puissant Nigeria, Muhammadu Buhari, lui-même ancien haut-gradé de l’armée, le président ivoirien semble faire feu de tout bois en Afrique de l’ouest. Ce qui déplait fortement. « Il sait qu’il ne peut pas se mesurer à Buhari. Non seulement le Nigeria est un pays plus riche que le sien, mais le passé militaire de ce dernier lui fait peur. Alors, il essaie de s’imposer aux autres présidents », dit-on sous cape du président de la Côte d’Ivoire.
Le président Embalô, lui, veut mettre un grand coup de pied dans la termitière. Chaque état est souverain et ne devrait avoir que faire des ingérences étrangères dans sa politique nationale. Or l’attitude de la commission de la CEDEAO, qui, disons-le, n’appréciait pas les résultats de la présidentielle bissau-guinéenne, a été très mal perçue. Tout comme d’ailleurs sa volonté de réinstaller Ibrahim Boubakar Kéita au Mali, ce dernier ayant été renversé par un coup d’état. Certes anticonstitutionnel mais populaire.
Le président ivoirien est de plus en plus perçu comme un homme ayant de visées dominatrices sur ses pairs. Entre sa volonté quasi unilatérale de faire de l’Eco la monnaie remplaçante du Franc FCA, celle de ne voir au pouvoir dans d’autres pays que « ses amis », alors que le feu couve dans son propre pays à l’orée d’une présidentielle de tous les dangers, Alassane Ouattara perd de son aura. Il joue aussi sa crédibilité. Sa candidature pour un 3ème mandat, ou le 1er mandat de la 3ème république, selon les camps, passe très mal dans la sous-région. La peur que les événements du Mali voisin contaminent son pays est réelle. Ce que ne se prive pas de lui rappeler le jeune mousquetaire bissau-guinéen.
Entre Abidjan et Bissau, on « se déteste cordialement », ce n’est un secret pour personne. Embalô est devenu un vrai caillou dans la chaussure de Ouattara. En espérant que cette animosité ne rende pas encore plus délétère le climat politico-social ouest-africain
Malick Daho, paru dans le Diasporas-News 117 Septembre 2020