Au lendemain du retour de l’ex-président Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, fêté dans la liesse par ses partisans, mais marqué par des tensions, la « réconciliation nationale » est plus que jamais à l’ordre du jour dans ce pays encore meurtri par deux décennies de violences politiques et ethniques.
Le retour de Laurent Gbagbo après dix ans d’absence, dans la foulée de son acquittement de crimes contre l’humanité par la justice internationale et du feu vert donné par son rival le président Alassane Ouattara, faisait sans surprise la Une de toute la presse ivoirienne vendredi, y compris gouvernementale.
Fraternité Matin, quotidien détenu par l’Etat, reprend pour son titre de Une les premiers mots de l’ex-président à son arrivée: « Je suis heureux de retrouver la Côte d’Ivoire et l’Afrique ». Le journal d’opposition Le nouveau réveil titre « Gbagbo, un retour triomphal ».
Des milliers de partisans enthousiastes et survoltés de l’ancien président l’ont acclamé tout au long de son parcours du Sud au Nord d’Abidjan. Ce n’était pas un raz-de-marée de millions de personnes, mais une manifestation significative de la popularité intacte de Laurent Gbagbo dans son camp.
La journée de son retour a cependant été marquée par de nombreux incidents, les forces de l’ordre ayant reçu pour consigne de disperser tous ceux qui souhaitaient se rendre à l’aéroport – dont l’accès avait été bloqué, sauf exceptions – pour l’accueillir en grand nombre. Les policiers ont fait un usage massif de gaz lacrymogène.
« Mais ces incidents regrettables, qui, à notre connaissance, n’ont pas entraîné de pertes en vies humaines ni même de dégâts matériels majeurs, ne doivent pas être l’arbre qui cache la forêt », écrit l’écrivain et journaliste pro-Ouattara, Venance Konan, dans Fraternité Matin.
« Nous voulons tous que la nouvelle histoire s’écrive sous le thème de la réconciliation totale et vraie, de l’union sacrée face aux grands dangers que nous allons devoir affronter et qui s’appellent terrorisme islamique, déforestation, sahélisation », ajoute-t-il.
– « Contre vents et marées » –
Tonalité similaire dans le camp de Laurent Gbagbo. Ces incidents « sont déjà du passé », a déclaré à l’AFP son porte-parole, Justin Katinan Koné, ajoutant: « Nous sommes déterminés à aller à la réconciliation nationale contre vents et marées ».
Une rencontre entre MM. Gbagbo et Ouattara, qui ne sont pas parlé depuis plus de 10 ans, n’est pas encore programmée, mais elle est « envisageable », selon M. Katinan Koné. Pour l’instant, l’ex-président doit « se reposer », selon lui.
La « réconciliation nationale » est dans l’intérêt de MM. Ouattara et Gbagbo, le premier pour faire oublier sa réélection controversée d’octobre 2020 et le second pour revenir dans le jeu politique en apparaissant comme un « sage ».
Jeudi soir, M. Gbagbo a adressé quelques mots aux membres de la direction de son parti, qu’il a remerciés de leur soutien. Il a dit qu’il parlerait de sa vision de l’avenir politique « plus tard ».
Yopougon, le plus grand quartier d’Abidjan, majoritairement pro-Gbagbo, tournait au ralenti vendredi, les habitants se remettant tranquillement des festivités de la veille. « Hier on a fait la fête (…) on a bu de la bière et beaucoup dansé et chanté jusqu’à tard pour dire notre soulagement que Laurent Gbabgo soit rentré », a raconté à l’AFP Stéphane Guirickpe, un enseignant de 40 ans.
« D’abord, il faut qu’il apaise le climat politique et social. Mais de grâce: qu’on ne lui enlève pas le droit d’exercer ses ambitions politiques! », a ajouté l’enseignant.
Laurent Gbagbo, alors au pouvoir depuis 2000, avait été arrêté en avril 2011 à Abidjan, puis transféré à la Cour pénale internationale (CPI) pour les violences commises à la suite de la présidentielle de fin 2010.
Le refus de M. Gbagbo de reconnaître sa défaite face à Alassane Ouattara, avait provoqué une crise post-électorale sanglante ayant fait 3.000 morts.
Depuis 2000, l’histoire de la Côte d’Ivoire a été jalonnée de violences politico-ethniques, les dernières remontant à la présidentielle d’octobre 2020 qui ont fait une centaine de morts.
Alassane Ouattara a été réélu pour un 3e mandat controversé lors d’un scrutin boycotté par l’opposition qui jugeait ce nouveau mandat anticonstitutionnel.
Mais depuis plusieurs mois, le climat s’est apaisé: l’opposition a participé aux législatives de mars – dont le FPI qui boycottait tous les scrutins depuis dix ans – des exilés pro-Gbagbo sont rentrés et des opposants arrêtés au moment de la dernière présidentielle ont été libérés.
Dans le même temps, la menace jihadiste venue des pays sahéliens se fait plus pressante: des attaques contre l’armée ont récemment causé la mort de quatre militaires dans le Nord, à la frontière avec le Burkina Faso.