Le président rwandais Paul Kagame a estimé mercredi que la France avait fait un « important pas en avant » avec le rapport Duclert sur son rôle dans le génocide des Tutsi en 1994, au moment où Paris ouvre au grand public d’importantes archives sur le sujet.
27 ans jour pour jour après le début du génocide qui a fait plus de 800.000 morts majoritairement tutsi, M. Kagame a affirmé que ce rapport qui pointe des responsabilités lourdes et accablantes de la France marquait « un changement ».
« Il montre un désir, même chez les dirigeants en France, d’avancer avec une bonne compréhension de ce qu’il s’est passé. Nous saluons cela », a-t-il ajouté lors d’un discours à Kigali à l’occasion des cérémonies de commémoration du génocide.
C’est la première fois que M. Kagame s’exprime sur les travaux de la commission Duclert, remis le 26 mars à son homologue français Emmanuel Macron, précisant que le Rwanda « aura aussi son mot à dire », avec son propre rapport sur le sujet qui devrait être dévoilé courant avril.
Mercredi, Paris a annoncé l’ouverture au grand public d’importantes archives, notamment celles de l’ancien président socialiste François Mitterrand au pouvoir à l’époque du génocide.
« Cette décision s’inscrit dans le cadre de l’engagement pris par le Président de la République de créer les conditions favorables à la poursuite du travail de compréhension du rôle et de l’engagement de la France au Rwanda », a indiqué la présidence française dans un communiqué.
Un geste salué comme « une bonne chose » par l’association de rescapés Ibuka France.
Toutefois, « les rescapés n’ont pas beaucoup à apprendre », a souligné le président d’Ibuka France Etienne Nsanzimana, lors d’une cérémonie au mémorial de la Shoah à Paris. « Ils veulent des actes forts, des mots d’excuses », a-t-il lancé.
« À titre personnel, je pense que des excuses s’imposent au vu de cette politique française au Rwanda, qui a été d’une grande violence et d’une supériorité très coloniale », a renchéri l’historien Vincent Duclert, auteur du rapport, dans une interview à Mediapart.
L’ambassadeur du Rwanda en France, François-Xavier Ngarambe, a de son côté exhorté « tous les pays au sein desquels des génocidaires se cachent » à les « extrader ou à les juger eux-mêmes ».
Plusieurs personnes soupçonnées par Kigali d’avoir joué un rôle dans le génocide résident aujourd’hui en France. Certaines ont été arrêtées, comme en mai dernier Félicien Kabuga, financier présumé du génocide, depuis transféré à la Haye pour comparaître devant la justice internationale.
Après plus de deux décennies de relations exécrables entre Paris et Kigali, empoisonnées par la question du rôle de la France, le ton était cependant à l’apaisement, lors des cérémonies de commémoration à Paris.
– « Vérité historique » –
Des représentants de l’Etat français ont participé aux commémorations, une présence saluée comme une marque de « respect » par une responsable d’Ibuka. Le chef de la diplomatie Jean-Yves Le Drian a assisté à une cérémonie de dépôt de gerbes dans la matinée.
Et à la cérémonie au mémorial de la Shoah, le ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer a insisté sur le rôle de la recherche et de l’enseignement afin de « lutter contre l’éternel recommencement et contre l’oubli ».
Alain Juppé, ancien ministre des Affaires Etrangères au moment du génocide, a de son côté reconnu dans une tribune au Monde que la France n’avait « pas accompli assez ». « Nous n’avons pas compris qu’un génocide ne pouvait supporter des demi-mesures », a-t-il écrit.
Seule voix dissonnante, mercredi, la cheffe de l’extrême droite française Marine le Pen, a indiqué qu’elle « aimerait qu’il y ait un avocat pour la France », « souvent mise au ban des accusés », ajoutant qu’elle n’était « pas fan » de la repentance, réclamée par les rescapés du génocide.
L’ouverture des archives sur le rôle de la France au Rwanda était attendue depuis des années et marque un pas supplémentaire dans la politique mémorielle du président Emmanuel Macron, après la remise du rapport Duclert.
Les archives de l’ancien président socialiste François Mitterrand, longtemps verrouillées, celles de son Premier ministre de l’époque Edouard Balladur (droite), et des milliers de documents sont désormais ouverts à tous les publics, selon un décret paru mercredi au Journal officiel.
Plusieurs de ces documents, notamment des télégrammes diplomatiques et notes confidentielles, figurent dans le rapport Duclert. Cette somme de 1.200 pages souligne notamment la responsabilité de François Mitterrand et de son état-major particulier qui ignoraient régulièrement les diverses mises en garde sur les risques de génocide.
D’autres ouvertures d’archives pourraient suivre à l’été, notamment des documents de l’armée qui ont été déclassifiés mais pas exploités, selon une source proche du dossier.