Malgré un lourd passif en Centrafrique à la tête des milices antibalaka, Patrice-Edouard Ngaissona, arrêté mercredi en France, avait réussi à se faire élire dans les instances dirigeantes du football africain, provoquant l’indignation des défenseurs des droits de l’homme.
M. Ngaïssona a été arrêté à la suite d’un mandat d’arêt lancé contre lui par la Cour pénale internationale (CPI) pour sa responsabilité présumée dans des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis dans l’ouest de la Centrafrique entre septembre 2013 et décembre 2014.
« Si ces allégations étaient vraies, je ne serais pas là aujourd’hui », avait-il déclaré au moment de son élection au comité exécutif de la Confédération africaine de football (CAF), début février à Casablanca au Maroc.
Igor Lamaka, porte-parole des antibalaka, allait même jusqu’à affirmer que « sa nomination prouve que ce n’est pas un criminel, pas un assassin, c’est un homme du fair play, un sportif de haut niveau ».
Après cette élection, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) avait estimé que « vu les crimes dont les antibalaka se sont rendus coupables, la place de leur ancien coordinateur est probablement moins dans une réunion de la CAF ou la tribune d’honneur d’un stade de football, que dans un tribunal ».
Mercredi, la FIDH et d’autres organisations de défense des droits de l’homme ont salué l’arrestation d’un « acteur majeur de la crise centrafricaine ».
Car son nom est régulièrement cité dans les rapports de l’ONU et dans les notes d’enquête de la justice centrafricaine comme l’une des têtes pensantes des milices antibalaka qui ont semé la terreur dans le pays.
Créées en 2013 après la prise de pouvoir par la force de la coalition musulmane de l’ex-Séléka, ces milices peu structurées ont pris les armes en prétendant défendre les intérêts des chrétiens, en représailles aux exactions des groupes armés musulmans.
– Chasse aux musulmans –
A la chute du président issu de la Séléka, Michel Djotodia, en 2014, les antibalaka se sont livrés à à une chasse aux musulmans dans Bangui et ses environs, faisant des centaines de morts.
Depuis, les milices antibalaka continuent de combattre dans une large partie du territoire, tantôt contre des groupes armés issus de l’ex-Séléka, tantôt contre d’autres milices antibalaka, pour le contrôle des territoires et ressources du pays.
« Il faut une reconnaissance de ce qu’ont fait les antibalaka », affirmait pourtant à l’AFP en 2014 M. Ngaissona qui se disait « porte-parole » de ces milices et qui, avant son arrestation, était encore leur « coordonnateur politique ».
Il affirmait « ne pas vouloir mélanger politique et sport », mettant en avant son rôle de président depuis 2008 de la Fédération centrafricaine de football, lui qui a été éphémère ministre des Sports en 2013.
« C’est le fruit d’un travail bien fait depuis de années au sein de la jeunesse centrafricaine », selon Igor Lamaka, alors même que l’enrôlement de mineurs dans les groupes armés est une pratique répandue dans ce pays en conflit depuis 2012.
Plusieurs fois déjà, M. Ngaissona avait été dans le viseur de la justice: en 2014, une vaste opération de l’armée française pour l’appréhender dans son fief de Boy-Rabe, quartier du nord de Bangui, avait échoué.
Il a bien été incarcéré au début des années 2000 pour enrichissement illicite, mais semblait passer entre les mailles de tous les filets depuis.
A Bangui, ses détracteurs avaient lié son inexorable ascension – jusqu’à se présenter à l’élection présidentielle de 2015 – à ses liens avec l’ancien président François Bozizé (2002-2013), et ses connexions présumées avec l’actuel président Faustin-Archange Touadéra.
La candidature à la présidentielle de celui qui avait été député dans son fief de Bangui sur les listes du parti de M. Bozizé, sera néanmoins rejetée, ce qui provoqua barricades et échauffourées dans des quartiers de la capitale centrafricaine.