En Afrique, de nombreuses écoles proches du réseau Hizmet, dirigé par l’opposant turc Fethullah Gülen, ont fermé leurs portes sous la pression d’Ankara, mais celle de Bangui, l’école Galaxy, résiste encore.
Emre (prénom modifié) n’est pas un directeur d’école ordinaire. Malgré son statut d’enseignant, son air affable et l’excellente réputation de l’école Galaxy, il vit comme un fugitif, exilé de son pays, la Turquie.
Son crime? Diriger une école proche du réseau Hizmet de Fethullah Gülen, qualifié de « terroriste » par le président turc Recip Tayyip Erdogan qui l’accuse d’avoir fomenté le putsch manqué de juillet 2016.
Depuis cette tentative de coup d’Etat, le régime d’Erdogan tente de fermer toutes les écoles proches d’Hizmet dans le monde.
En Afrique, au moins 18 pays (Cameroun, Niger, Mali, Sénégal, Mauritanie, Guinée, Tchad, Soudan, Maroc, Guinée-Équatoriale, Angola, Rwanda, Madagascar, Somalie, Angola, République du Congo, Gabon, Gambie) ont déjà cédé aux demandes d’Ankara.
Les établissements du réseau Hizmet ont été nationalisés ou récupérés par la fondation Maarif, proche du pouvoir turc, et leurs professeurs embarqués dans des avions vers la Turquie et écroués.
– « Dignité » –
« Les Centrafricains ont protégé leur dignité », se réjouit un membre du personnel enseignant de l’école Galaxy, reconnaissant envers la Centrafrique, l’un des seuls pays en Afrique centrale à n’avoir pas cédé aux pressions turques.
Etrange paradoxe pour un pays sous la coupe de groupes armés depuis des années où l’Etat est faible et où tout, ou presque, peut s’acheter.
« On nous accuse d’être un groupe terroriste alors qu’on fait de l’éducation et de l’humanitaire » affirme le directeur, en traversant son établissement qui n’a rien a envier aux lycées européens: tableau numérique, vidéo projecteur, salle informatique, cantine, terrains de sports, etc.
« Ils m’ont cité personnellement, le 15 juillet 2016, comme appartenant au mouvement Gülen » » se rappelle Emre qui, pourtant, « n’a rien a voir avec ce qui s’est passé à Ankara il y a deux ans », selon un connaisseur du mouvement Gülen.
Emre ne peut plus rentrer chez lui, comme neuf autres ressortissants turcs de Centrafrique, sous peine d’être emprisonné. Ils possèdent un statut de réfugiés, et sont suivis par le Haut commissariat de l’ONU aux réfugiés (HCR).
« Les Turcs bénéficient de la protection juridique de l’Etat centrafricain, le HCR est là en tant qu’observateur » explique une source dans cette organisation, qui avoue à demi mot son impuissance si Bangui devait accéder aux demandes d’Ankara.
« Au Gabon, le HCR avait protesté, saisi les autorités, mais ça n’a rien changé », se souvient une source humanitaire qui a assisté à la fermeture de l’école La Lumière de Libreville et à la déportation en avril vers la Turquie du directeur, de son adjoint et d’un enseignant, ainsi que de leurs familles.
– « Cadeaux » –
« Le Gabon a privilégié le rapport inter-Etats, je suis sûr qu’ils (les dirigeants Gabonais) ont eu beaucoup à gagner », affirme Jean Serge Bokassa, qui dit avoir reçu « des propositions » d’Ankara lorsqu’il était ministre centrafricain de la Sécurité et de l’administration territoriale.
En mars 2017, des diplomates turcs sont venus le voir, se rappelle-t-il. « Ils ont procédé par intimidation verbale et promesse de cadeaux », proposant « la nationalisation des infrastructures scolaires et une assistance dans plusieurs domaines », selon M. Bokassa.
Il assure avoir refusé ces propositions, tout comme un autre ministre de l’époque, qui préfère rester anonyme.
« Je leur ai dit +si vous voulez nous aider, construisez un établissement au lieu d’en fermer un+ », explique ce ministre qui s’est vu proposer à plusieurs reprises une invitation en Turquie et « des cadeaux ». « Ils m’ont dit que si j’acceptais, je n’aurai pas à le regretter ».
Si l’école a réussi à résister, c’est « d’abord parce qu’il n’y a pas d’ambassade turque dans le pays, et peu de liens économiques et diplomatiques », affirme un connaisseur du dossier. « Ensuite, la direction de l’école a de très bonnes relations avec le gouvernement – la directrice-adjointe de l’école Galaxy pour filles est la femme du Premier ministre – et bénéficie d’un très bon niveau scolaire ».
Galaxy enregistre d’excellents résultats avec 83% de réussite au bac contre 12% au niveau national.
Selon Jean-Serge Bokassa « des lobbies proches du pouvoir centrafricain cherchent à organiser un rapprochement avec la Turquie ». Bien qu’opposant au président Faustin-Archange Touadéra, il se félicite de la fermeté de l’exécutif : « Pour l’instant, Je me réjouis du fait que le président n’ait pas cédé ».