Deux ans après sa mort lors de son interpellation par les gendarmes du Val-d’Oise, la famille d’Adama Traoré organise samedi une marche, soutenue par plusieurs partis de gauche, pour dénoncer la « lenteur » de l’enquête, qui s’apparente de plus en plus à un « déni de justice » à ses yeux.
Environ deux mille personnes sont attendues à partir de 14H00 à Beaumont-sur-Oise, petite ville de grande banlieue parisienne où Adama Traoré est mort le jour de ses 24 ans, le 19 juillet 2016. La nouvelle de sa mort avait entraîné cinq nuits d’émeutes à Beaumont et dans les environs.
Comme l’an passé, le cortège fera halte devant la caserne de la ville voisine de Persan, où son décès a été constaté à 19H05, deux heures après son interpellation.
L’affaire, dont la mémoire a été ravivée par la mort d’Aboubakar Fofana, tué le 3 juillet lors d’un contrôle de police à Nantes, est marquée depuis son origine par une défiance vis-à-vis des autorités, alimentée par l’annonce tardive du décès et la communication très contestée du procureur de Pontoise à l’époque.
Si le dossier a été dépaysé à Paris et confié à un juge d’instruction, la famille, qui réclame la mise en examen des gendarmes, a l’impression que l’enquête n’avance pas. Une impression renforcée par le nouveau report, à fin septembre, d’une nouvelle expertise médicale devant permettre d’identifier les causes, très discutées, du décès d’Adama Traoré.
Il y a un an, une contre-expertise avait confirmé un décès par asphyxie, en lien avec plusieurs fragilités antérieures, notamment une anomalie cardiaque et une maladie inflammatoire. Sans permettre de résoudre l’inconnue au coeur de l’affaire: la méthode d’interpellation des gendarmes – le placage ventral – est-elle en cause ?
Assurément pour la famille, qui reproche également aux gendarmes de ne pas lui avoir porté secours après son malaise dans leur véhicule. Et de l’avoir laissé mourir « comme un chien, gisant sur le bitume brûlant de la gendarmerie », en attendant l’arrivée des secours.
« La lenteur judiciaire dans ce dossier ressemble de plus en plus à un déni de justice. Mes clients n’ont malheureusement plus confiance en la justice », a réagi Me Yacine Bouzrou, l’avocat de la famille Traoré, auprès de l’AFP.
Dans une lettre ouverte publiée mercredi dans le Nouvel Observateur, Assa Traoré, la grande soeur de la victime, a interpellé le président Emmanuel Macron et la garde des Sceaux. « Je ne demande rien (…) que ce dont vous êtes les garants. La justice. Le droit de savoir ce qui est arrivé à mon frère. (…) Que tout soit mis en œuvre pour la manifestation de la vérité ».
Depuis la mort d’Adama, plusieurs membres de la fratrie Traoré ont eu affaire à la justice. Son grand frère Bagui, que les gendarmes cherchaient à interpeller le 19 juillet, a notamment été mis en examen pour « tentatives d’assassinat » sur les forces de l’ordre lors des nuits de violences qui avaient suivi.
« Il ne s’agissait pas de violences urbaines, mais d’une insurrection armée, menée par des criminels », a estimé récemment le colonel Charles-Antoine Thomas, patron des gendarmes dans le Val-d’Oise, rappelant que treize militaires avaient été blessés par arme à feu lors de ces affrontements.
Au-delà de l’hommage, la marche vise à maintenir la pression sur les autorités. « Tournée des quartiers populaires », appel à la « convergence des luttes »: Assa Traoré n’a pas ménagé sa peine pour rallier un maximum de soutiens au-delà des cercles habituels (NPA, ultragauche, militants antiracistes). Le groupe parlementaire de La France insoumise a appelé à « rejoindre massivement » la manifestation à laquelle participera aussi le PCF, Génération.s ou encore le responsable d’EELV, David Cormand.
Mais si le comité de soutien a réussi à enrôler les « héros » Lassana Bathily et Mamoudou Gassama, aucun des joueurs de l’équipe de France « n’a fait la moindre déclaration pour rendre hommage à ces jeunes des quartiers populaires, ces jeunes qui leur ressemblent tant, et qui meurent entre les mains de la police ou de la gendarmerie », a-t-il regretté dans un communiqué publié… un quart d’heure avant le coup d’envoi de la finale victorieuse des Bleus lors de la Coupe du monde.