samedi, avril 20, 2024
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Rwanda: après le génocide, le lent cheminement vers le pardon

L’accolade est longue et chaleureuse. Pascal et Jean-Bosco se connaissent depuis les bancs de l’école. Le premier fait pourtant partie des hommes qui, en 1994 lors du génocide rwandais, ont tué le père du second, lequel lui a depuis pardonné.

Une pluie drue s’abat sur Mutete, petite commune perchée sur un plateau enserré par les nuages bas, au bout d’une piste escarpée serpentant entre les champs de manioc, sorgho ou patate douce, à 40 km au nord de Kigali.

Pascal et Jean-Bosco se retrouvent à l’église où une cérémonie religieuse est célébrée en l’honneur de la vierge Marie, en ce premier samedi du mois. Comme deux vieux amis que la vie a malencontreusement séparés avant de les rapprocher à nouveau.

La discussion est amicale, les sourires fraternels. « C’est aujourd’hui, mon meilleur ami. Je lui ai fait tant de mal, mais il m’a pardonné », confie Pascal Shyirahwamaboko, un paysan de 68 ans. Mais le chemin de l’oubli et du pardon n’a pas été aisé pour Jean-Bosco.

Il y a 25 ans, Mutete a payé un lourd tribut à la folie sanguinaire des génocidaires hutu. Plus de 1.000 de ses habitants ont été tués dans les jours qui ont suivi le déclenchement d’un génocide ayant fait, selon l’ONU, au moins 800.000 morts, essentiellement au sein de la minorité tutsi, entre avril et juillet 1994.

Le visage émacié sous un chapeau de cowboy élimé de couleur citrouille, Jean-Bosco Gakwenzire, 65 ans, un paysan lui aussi, se remémore l’arrivée sur la colline des miliciens Interahamwe, venus faire la chasse aux « cafards » tutsi.

« Ils allaient dans toutes les maisons dont ils savaient qu’elles cachaient des Tutsi et tuaient ces derniers en les découpant à la machette », se rappelle-t-il, le regard las et mélancolique. Il a perdu son épouse et quatre de ses six enfants.

– « Des animaux sauvages » –

Son père, qui avait réussi à fuir, a plus tard été rattrapé dans la forêt avec leurs vaches. Pascal non plus n’a pas oublié. Il se souvient avoir vu un groupe d’hommes dévaler la pente derrière un vieil homme et son troupeau.

Il dit avoir tenté de prendre la défense du vieillard. Mais les miliciens lui ont dit que s’il persistait, il devrait « être tué à sa place ». « On l’a alors remis à ceux qui devaient le tuer et moi, j’ai réussi à me sauver », raconte-t-il.

Enrôlé de force, selon ses dires, Pascal reconnaît avoir ensuite eu du sang sur les mains. Pour ses actes durant le génocide, il a passé 18 ans en prison entre 1998 et 2016, après avoir été condamné par un tribunal populaire (« gacaca »).

Pour favoriser le processus de réconciliation, le Rwanda a condamné à de simples travaux d’intérêts généraux la plupart des repentis. Mais Pascal a d’abord refusé d’avouer ses crimes, écopant ainsi d’une peine beaucoup plus sévère.

« Je me demandais comment j’allais expliquer avoir tué quelqu’un d’innocent », reconnaît-il, derrière son sourire figé. Le sourire de celui qui sait qu’il a commis un acte honteux et qui cherche la rédemption dans chaque regard qu’il croise.

Pendant longtemps, il n’a pas cru au pardon. « Au départ, nous croyions que c’était impossible, parce que nous avons commis des actes dignes d’animaux sauvages (…). Mais après un long examen de conscience, nous avons fini par comprendre que cela ne pouvait pas continuer comme ça ».

– « Une honte indicible » –

L’attitude respectueuse des familles de victimes à l’égard de son épouse Rose Curikingohi, 72 ans, l’a aussi rassuré. Après son passage devant les gacaca, celle-ci a pris son courage à deux mains pour aller leur demander pardon et payer en son nom des réparations pour les biens volés ou détruits.

Les retrouvailles avec Jean-Bosco n’ont pas été faciles. « C’était une honte indicible (…). C’était très honteux de se présenter devant une personne à laquelle vous aviez fait tant de mal alors que vous aviez auparavant tout partagé », admet-il.

Mais aujourd’hui, Jean-Bosco « compte parmi ceux qui (lui) sont le plus proches » et Pascal constate que ses aveux l’ont libéré. « Je ne sais pas si c’est parce je deviens sage avec l’âge, mais la réalité est que je me sens mieux qu’avant ».

Après le génocide, Jean-Bosco a mis du temps à se reconstruire. Au début, explique-t-il, « je ne me sentais pas capable d’adresser la parole ou de partager quoi que ce soit avec les responsables de ce qui s’était passé. Mais avec le temps, avec la prière, le dialogue a été renoué, petit à petit. Nous avons commencé à pardonner, à parler du pardon et à l’enseigner ».

Il s’est remarié et a eu cinq autres enfants. « Cela m’a donné l’espoir en la vie. Et mon souhait aujourd’hui, puisque je prends de l’âge, c’est que lorsque le moment viendra, je parte confiant que ce qui s’est passé ne se reproduira plus ».

« J’ai pardonné à beaucoup de personnes, ce sont mes voisins », justifie Jean-Bosco. « Je sais que ceux qui sont morts ne reviendront jamais, que ce que nous avons perdu ne reviendra jamais. Cela m’a permis d’aller de l’avant, de ne pas reculer ».

afp

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