mardi, mars 19, 2024
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Au Mozambique, mariages et grossesses d'adolescentes au coeur de l'explosion démographique

Dans la petite maternité de Murrupelane, deux enfants sont nés ce matin-là. Enveloppés nus dans des tissus chatoyants, ils cherchent le sein de leur jeune maman: des adolescentes de 16 ans, déjà mariées et encore à la recherche des bons gestes.
Le Mozambique affiche un des taux les plus élevés au monde de mariages et de grossesses précoces, une des principales causes de la démographie galopante dans ce pays pauvre d’Afrique australe.
Le Mozambique, sorti en 1992 d’une longue guerre meurtrière, a vu sa population exploser de 40% entre 1997 et 2017, pour atteindre 29 millions d’habitants.
« Mes parents ont tenu à me marier », explique Julia Afonso, l’une des filles-mères de la maternité de Murrupelane, un village du nord du Mozambique. « Ils ont reçu 1.500 méticals (22 euros) » de dot, ajoute-t-elle d’une voix faible.

Comme Julia, une Mozambicaine sur deux (48,2%) se marie avant 18 ans. Un terreau fertile pour les grossesses précoces: 46,4% des adolescentes de 15 à 19 ans sont enceintes ou ont déjà au moins un enfant.

Ces mariages et grossesses « appauvrissent la communauté », constate l’imposant Wazir Abacar, le chef du village.
Les jeunes parents « ne peuvent pas nourrir leurs enfants, les mamans quittent l’école », explique-t-il. Résultat, 58% des Mozambicaines sont illettrées.
« Certaines filles couchent aussi avec des hommes pour s’acheter des vêtements. Elles sont accrocs aux fringues », poursuit Wazir Abacar. « Les hommes refusent le préservatif pour avoir plus de sensations. Au final, les filles couchent pour être moins pauvres, et c’est l’inverse qui se produit ».
– Enceinte à 12 ans –
Ema Nelmane en paie aujourd’hui le prix fort. A 13 ans, assise sur une natte dans la cour en terre battue de la maison de sa grand-mère, elle donne le sein à son petit Ismail, 7 mois.
Elle a cédé aux avances d’un homme rencontré au marché qui l’a payée 200 meticals (3 euros) en échange de son tout premier rapport sexuel. « Elle y a vu l’occasion de s’offrir les mêmes chaussures que ses copines », tente d’expliquer sa grand-mère Ema Chata qui l’héberge.
Au début de sa grossesse, Ema l’adolescente est tombée des nues. « Je ne savais pas qu’on pouvait se retrouver enceinte en faisant l’amour », assure-t-elle. « Je n’avais plus mes règles depuis quatre mois et j’en ai parlé à ma grand-mère. »

Cette dernière a refusé de porter plainte pour viol pour « ne pas embarrasser encore plus le père », disparu depuis.

La petite Ema, elle, a été plongée prématurément dans le monde des adultes. « Ce n’est pas l’âge pour avoir un bébé », constate-t-elle dans un sursaut de maturité, « je ne peux plus jouer avec mes copines ».
Au Mozambique, comme dans de nombreux pays en voie de développement, les femmes font des enfants très jeunes « par manque d’éducation » et « des parents voient dans leur progéniture l’assurance d’être pris en charge pendant leurs vieux jours », explique le démographe Carlos Arnaldo.
Jusqu’à récemment encore, le gouvernement mozambicain se préoccupait peu des questions démographiques, mais les mentalités évoluent, se félicite-t-il.
– « Mythes » –
Car l’explosion démographique coûte cher. « Les conséquences économiques pour le gouvernement, c’est qu’il doit construire des hôpitaux et des écoles. En dépit des dépenses de l’Etat, des gens n’y ont pas accès », concède Pascoa Wate, en charge de la santé maternelle et infantile au ministère de la Santé.
« Le mariage précoce reste profondément ancré dans les valeurs culturelles qui font de la fertilité une priorité », regrettent les autorités mozambicaines, qui ont décidé de modifier la législation. Plus question de se marier, avec le consentement des parents, entre 16 et 18 ans. L’âge légal du mariage a été fixé à 18 ans.

Pour ralentir la croissance démographique, Maputo, soutenu par le Fonds des Nations unies pour la population, a aussi lancé une campagne de promotion de la contraception. Seules un quart des Mozambicaines ont recours aux contraceptifs.

A Namissica (nord), à l’ombre d’un manguier, une quinzaine de femmes se pressent devant une table où sont disposés un pénis en bois et un appareil génital féminin en plastique.
Une infirmière en blouse blanche, Fatima da Silva Cobre, explique, démonstration à l’appui, comment poser les préservatifs masculin et féminin.
Mais l’idéal, « si votre mari n’est pas coopératif », c’est l’implant, conseille-t-elle. « Il ne saura pas que vous prenez » un moyen de contraception.
« Ici on cultive les champs, interrompt une mère. Comment s’assurer que l’implant ne va pas bouger ? » « On ne va pas devenir infertile ? », demande une autre voix. Et Fatima de démonter un à un ces « mythes ».
– Rites de passage –
Lutter contre l’explosion démographique passe aussi par l’éducation des hommes. « Ce sont eux qui dictent la sexualité des filles », constate Gilberto Macuacua Harilal.
Véritable croisé de la lutte contre les mariages et grossesses précoces, il anime chaque dimanche à la télévision publique l’émission « D’homme à homme ».
Il y dénonce les églises qui font l’apologie du mariage à 16 ou 17 ans. Ou les rites d’initiation, très fréquents au Mozambique pour les filles et garçons qui y sont alors circoncis.

Lors de ces rites, « des gamins de 8 à 12 ans apprennent à punir les filles en leur imposant des rapports sexuels. Des filles de 8-10 ans apprennent à toucher un pénis », s’indigne Gilberto Macuacua Harilal, « ça ne peut pas continuer ».

Le message commence lentement à passer. Depuis un an, « on essaie de convaincre les responsables des rites d’initiation d’être prudents dans les instructions qu’ils donnent aux garçons », assure Jaoa Carlos Singano, chef de village dans le district de Rapale (nord).
Mais le temps presse. Au rythme actuel de la croissance démographique au Mozambique, la population aura doublé dans un quart de siècle. « Une course contre la montre est engagée », résume la ministre de la Jeunesse Nyeleti Mondlane.

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